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Mapuches

Un Meurtre dans l’Alto Bío-Bío

Le jeudi 13 février 2003.

Sur fond de manipulations gouvernementales et policières, la violence continue contre le peuple mapuche engagé dans une lutte pour la terre. Un nouvel assassinat politique endeuille les communautés pehuenches en conflit de la vallée du fleuve Queuco, les mêmes qui, depuis 1999, impulsent un puissant mouvement de récupération territoriale.

Cette fois, la victime de la violence terroriste a été le jeune Jorge Arturo Saurez Marihuan, Pehuenche de 27 ans de la communauté de Malla-Malla. Paramédical de profession, il avait étrangement disparu de sa maison le 5 décembre passé. Son corps a été retrouvé sans vie à côté du fleuve Queuco le 11 décembre. Selon des témoins, le corps de Jorge présentait d’évidentes traces de torture.

Le jeune Pehuenche, frère du lonko (voir Le Monde libertaire nº 1304) de la communauté Segundo Suarez et membre du conseil traditionnel de lonkos de l’Alto Bío-Bío, était un membre actif du processus de récupération de terres dans cette zone du territoire mapuche, processus pour lequel les communautés de Trapa-Trapa, Butalelbun, Malla-Malla et Cauñicú ont lutté ensemble. Elles ont déjà récupéré seize milles hectares de terres sur les trente milles qui sont objet de conflit. Celui-ci oppose l’État, les entreprises transnationales, les colons et les communautés.

La mort étrange du frère Jorge Suarez, qui s’ajoute aux assassinats du 12 juillet 2002 des frères Mauricio et Agustina Huenupe Pavian, porte-parole de la communauté Cauñicú del Alto Bío-Bío et également membres du conseil traditionnel de lonkos, révèle une nouvelle forme de répression sélective dans le cadre du conflit mapuche. L’action de groupes anti-mapuches, au travers d’assassinats dirigés vers des leaders de la résistance pehuenche, facilite l’intervention directe dans la région de l’appareil d’État et la réalisation des méga-projets d’entreprises internationales comme Endesa-España.

Ainsi à Santa Barbara, un appel des dirigeants du conseil de lonkos de l’Alto Bío-Bío réclame que la justice chilienne ne laisse pas dans l’impunité le récent assassinat de Jorge Suarez Marihuan et dénonce la complicité des autorités du gouvernement et des colons chiliens. « Nous rendons responsable le gouverneur Esteban Krausse de la mort de notre frère. C’est le gouvernement qui a divisé les communautés pehuenches et a privilégié le dialogue avec un secteur minoritaire de dirigeants alliés des usurpateurs winkas [terme qui désigne les colons chiliens], générant un climat de violence sur nos terres. »

Nous sommes ici devant un assassinat politique dont nous exigeons qu’il soit éclairci et dont les responsables doivent être incarcérés. Assez d’injustices, comme dans le cas des frères Huenupe Pavian, assassinés eux aussi, par des colons et des pehuenches pro-gouvernementaux qui se promènent toujours libres dans les rues ! Il faut se souvenir que pour l’assassinat des frères Agustina et José Mauricio Huenupe Pavian, le juge a inculpé comme auteurs des faits deux Pehuenches de la communauté Cauñicú et comme complices plus d’une douzaine de membres des communautés et colons chiliens de la région. Beaucoup de personnes en relation avec les faits appartiennent à l’association des lonkos de l’Alto Bío-Bío, association pro-gouvernementale dirigée dans la vallée de Queuco par Agustin Correa (dirigeant expulsé durant l’année 2000 de la résistance au barrage Ralko). Alors que plusieurs des inculpés ont admis leur participation dans le double assassinat, aujourd’hui la majorité d’entre eux jouissent de liberté provisoire.

S’associant aux déclarations du dirigeant Pedro Suarez et au travers d’un communiqué public, les dirigeants de la communauté pehuenche Malla-Malla, à laquelle appartient Jorge Arturo, dénoncent en plus un traitement discriminatoire de la part de la police en ce qui concernent l’enquête sur les responsables de la disparition et de la mort du jeune membre de la communauté :

« Face à la déclaration de présumée malchance relative à la disparition de Jorge Suarez, sa recherche s’est arrêtée et s’est limitée uniquement à donner des ordres une fois que sa famille et ses amis ont trouvé le corps […]. D’un autre côté, jusqu’au 18 décembre le juge de Santa Barbara n’avait donné aucun ordre pour rechercher en quelles circonstances est mort notre frère, situation qui est une atteinte directe à nos droits. »

De la même manière les membres de la communauté accusent le service médico-légal d’occulter des informations importantes sur les causes de la mort de Jorge Arturo, signalant que « jusqu’à aujourd’hui il a été refusé à la famille d’avoir accès à l’information du médecin légiste, arguant du secret et du fait que seul le juge peut avoir accès à cette information ».

Il semble que non seulement l’assassinat de membres des communautés par les carabiniers, mais aussi l’arrestation sélective de dirigeants mapuches, les encerclements policiers, les écoutes téléphoniques et la divulgation d’informations fausses et douteuses dans les médias font partie de l’actuelle stratégie utilisée par le gouvernement chilien pour désarticuler le mouvement mapuche, comme l’a reconnu il y a quelques semaines à Conception le sous-secrétaire de l’Intérieur Jorge Correa Sutil.

À ce scénario, rappelant les pires temps de la dictature militaire d’Augusto Pinochet, s’ajoute aujourd’hui l’assassinat de dirigeants et membres des communautés par des groupes para- militaires et opposants aux mobilisations développées par les communautés dans la défense de leurs droits territoriaux et politiques.

Tous ces faits, qui révèlent le traitement que réserve le gouvernement à notre communauté, nous font réaffirmer notre volonté de persister dans la récupération territoriale et la défense de notre peuple.

Pedro Cayuqueo

Kolectivo mapuche Lientur
Communauté pehuenche de Malla-Malla Alto Bío-Bío.
Conseil des lonkos de l’Alto Bío-Bío.
http://www.nodo50.org/kolectivolientur
kolectivolientur@hotmail.com