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Festoyez braves gens,

La Police veille…

Le jeudi 9 janvier 2003.

Décidément, l’histoire tourne en rond. Nous n’avions plus entendu parler du mythe de « l’ennemi intérieur », depuis l’époque reculée du « Général Frappard » ou d’Action directe, dans les années soixante, soixante-dix. Pourtant, le ministre polyvalent Sarkozy-
les-dents-longues vient de le déterrer à nouveau. En effet, depuis qu’au niveau extérieur, les « méchants communistes » ont pratiquement disparu de la planète pour se voir voler la vedette par les « méchants musulmans terroristes », il restait encore à la réaction à désigner clairement la cible intérieure, pour aintenir la pression haineuse et lister les coupables nés, auprès des électeurs du « mai 1968 des vieux », qui a eu lieu
en avril dernier.

Depuis six mois, c’est chose faite. Sarkozy et son band ont ainsi dépassé les socs-dém qui, sous Jospin appelaient à un timide « rétablissement de l’ordre », alors que le nouveau gouvernement durcit le ton en déclarant carrément « la guerre à l’insécurité ».
Et plus un jour ne se passe sans que l’on nous rabâche la liste des ennemis en puissance de l’ordre public que sont : les jeunes, les étrangers, les SDF, les Roms, les prostitués, les sidéens et j’en passe. Ce qui revient, en fait, à « diaboliser » les catégories que le Front national désigne déjà pour cible, depuis des années.

Et tout le monde semble se réjouir et prêter main forte à ce nouveau défi. D’ailleurs, Julien Dray, député socialiste et fondateur de SOS Racisme n’a-t-il pas fait
voter par la Commission permanente du conseil d’Ile-de-France, un certain nombre de mesures sécuritaires destinées à être appliquées, au nom de la sécurité, dans les transports en commun, les lycées, les commerces et les postes de police ? Vingt millions
d’euros de crédits supplémentaires ont même été attribués à la Région, pour permettre le réaménagement de quinze postes de police, qui deviendra un nouveau bastion de la protection et ce, grâce au zèle des socialistes, à présent, grands fervents de l’ordre. Et que l’on ne me dise pas que cela n’a rien à voir avec le fait que Sarkozy a promis une prime à la réforme aux départements qui seront les premiers à accepter le redéploiement de la police et de la gendarmerie, sur le territoire. Une vulgaire histoire d’argent, en somme.

Si l’ennemi est partout… il est d’abord « jeune ou bronzé »

Certes, les bavures ont toujours existé dans les États policiers. Mais il faut commencer à s’inquiéter, quand on en relève pratiquement une par jour, entre celles signalées dans les journaux de la presse quotidienne et celles répertoriées dans Que fait la police, l’observatoire des libertés publiques, rien que pour ces deux derniers mois. Si certaines semblent plus anodines que d’autres, elles n’en révèlent pas moins la logique implacable d’un fascisme qui refuse de dire ouvertement son nom et dont elles sont que l’exact reflet.

Par exemple, en novembre dernier, une jeune femme arbitrairement soupçonnée de vouloir faire un mariage blanc a été gardée à vue dans un commissariat de Rosny-
sous-Bois (93). Selon son témoignage, on lui a refusé l’accès aux toilettes pendant tout un après-midi, elle a donc dû se soulager dans sa cellule. Lorsqu’un policier est arrivé avec un seau rempli d’eau, humiliée, elle a refusé de nettoyer et ce dernier a plongé la tête de la jeune femme dans le seau et l’a aspergé avec un tuyau d’eau froide.

Autre fait « anodin ». Le 11 novembre 2002, la police bloque la rue des Islettes, dans le 18e arrondissement de Paris et fait dégager, à la lacrymogène, deux cents personnes qui font la queue tranquillement : ils sont venus acheter des gâteaux de ramadan. Mais, selon le témoignage d’habitants du quartier, un policier explique aux passants interloqués qu’il faut se méfier de « ces gens là » qui sont tous « des terroristes en puissance ».

Autre jour, autres mœurs : une jeune femme est bloquée dans l’entrée de son immeuble dans le 20e arrondissement par des policiers de la BAC qui recherchent des revendeurs de cannabis, dans le quartier. Tandis qu’elle proteste, car elle n’est pas concernée et que de plus, elle doit impérativement aller chercher sa fille chez la nourrice, elle est brutalement menottée dans le dos, puis se fait traiter de « pute » et de « Bamboula » et est traînée au commissariat. Selon la victime, un policier lui intime l’ordre de regarder vers le mur, puis la tire par les cheveux et lui cogne la tête contre le béton. L’IGS enquête, après la plainte déposée par la jeune femme, mais les policiers, quant à eux, ont d’ores et déjà engagé une procédure contre la victime, pour outrage et rébellion…

L’usage des flash balls tend à se généraliser

Il ne flore pas bon, aujourd’hui prétendre résister à la maréchaussée : en effet, quatre policiers ont utilisé leurs flash balls contre une vingtaine de personnes mécontentes de voir des condés interpeller violemment un jeune homme de vingt ans, dans une cité des Hauts-de-Seine. En réaction, les individus lancent des pierres sur les policiers qui en représailles, les dispersent violemment à coup de balles en plastique.

Même scénario avec des policiers qui poursuivent des hooligans, après un match de foot à la porte de Versailles et font usage de leurs flash balls sur ce territoire de la ville de Paris, ce qui leur était interdit, dans la mesure où ils dépendent du département voisin, sans que le préfet en donne l’ordre. Mais que les braves gens se rassurent : aucune sanction n’a été prise à leur encontre, malgré les nombreux témoignages des passants.

Rien est trop beau pour la protection du citoyen

On arrête pas le progrès : ainsi, la maire UMP d’Aix-en-Provence propose à ses administrés de se doter de bracelets ou de colliers de sécurité. Pour la somme de trente euros par mois, il leur sera possible d’alerter rapidement la police municipale, en cas d’agression !

Qui dit protection, dit avant tout : prévention. C’est dans cet esprit que les policiers appliquent, avant même leur adoption par les Assemblées parlementaires, les projets de loi du ministère rêvés par le ministère de l’Intérieur. Par exemple, à Marseille et à Toulouse, des flics ont fait pression sur des vendeurs de grandes librairies pour que des ouvrages traitant de la culture personnelle du cannabis soient retirés de la vente et…
manu militari, il va sans dire.

Pour les fidéliser, rien de mieux que de récompenser ses troupes. Et les flics, déjà bien gâtés par la Loi sur la sécurité intérieure disposent dans l’avant-projet de Perben, de 48 heures de plus de garde à vue, pour toute une série d’infractions qui vont du trafic de stups au proxénétisme, en passant par l’extorsion de fonds. De ce fait, beaucoup d’affaires échapperont au droit commun pour lesquelles, les avocats seront exclus de la garde à vue, jusqu’à la 36e heure. De plus, les policiers auront désormais le droit d’infiltrer les « groupes criminels » et d’organiser des provocations. Il s’agit d’une vieille
revendication des flics qui jusqu’à ce jour avait été jugée trop dangereuse.

On assiste également dans le projet Perben au enforcement des pouvoirs du parquet. Dans ce cadre, la phase d’enquête préliminaire pourra être étendue à des perquisitions et des écoutes téléphoniques, ce qui n’était possible jusqu’à ce jour, que dans le cadre d’une information judiciaire. De plus, sur simple visa du juge des libertés, le procureur pourra poursuivre les investigations et mener une véritable instruction, puis renvoyer les suspects directement au tribunal. Le juge d’instruction pourra ainsi disparaître du circuit.

Plus de juges d’instruction, plus de procès et bientôt plus d’avocats : une justice de rêve pour un État policier…

Patrick Schindler