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Sahel

L’Éducation

une piste pour le développement ?
Le jeudi 9 janvier 2003.

« De nombreux auteurs l’affirment l’éducation est la clé -centrale- du développement » (Gérard Winter, Libération, 12 octobre 2002). Mais pour quel développement ?



Et si on prenait l’exemple de ce qui se passe depuis une dizaine d’années dans un gros village sénégalais ? 4’000 habitants. À deux heures de route de Saint-Louis, à un kilomètre du fleuve Sénégal, en plein dans la zone sahélienne. Une faible pluviométrie (400 millimètres entre août et septembre) et des températures qui peuvent allégrement atteindre les 40°C. À 27 kilomètres de la première route bitumée, qu’il faut rejoindre par une piste en très mauvais état, et qui reste impraticable pendant trois jours après une forte pluie.

L’aventure, car c’en est une, a commencé en 1987, quand un nouvel instituteur, Papa Meïssa Hanne a décidé de mettre en place la pédagogie Freinet à l’école primaire du village. Avant son arrivée, de nombreux parents refusaient, à la suite d’un conflit avec l’ancien instituteur d’inscrire leurs enfants à l’école publique et laïque. Pap’Meïssa a commencé par rencontrer les parents, puis à mettre en place cette pédagogie, quasiment une première en Afrique. C’est une pédagogie particulièrement novatrice, et qui continue de l’être car l’innovation constitue un de ses principes de fonctionnement : correspondance scolaire, texte libre, imprimerie, quoi de neuf ? (petite réunion matinale pour faire le point entre les enfants et l’instituteur, etc.).

Mais la clé de voûte, c’est sans doute la coopérative scolaire, chargée de réguler la vie de l’école, et dans laquelle les enfants sont fortement impliqués. Elle est composée d’un bureau et de différentes commissions gérées par les enfants.

Prenons par exemple la commission hygiène-environnement-santé. Elle s’occupe de la propreté de l’école, le nettoyage de la cour, des salles de cours, des sanitaires. Le vendredi, vers 11 heures, les responsables de la commission vont chercher les pelles, les râteaux, les sacs et partent avec les autres enfants dans le village pour ramasser les ordures fréquemment déposées au milieu des rues. Les habitants du village sont invités à se joindre à eux. Il faut juste préciser qu’il n’existe pas de service communal de ramassage des ordures. Le rôle de l’école et des enfants en matière d’hygiène collective est fondamental, d’autant plus qu’il n’existe pas de réseau d’assainissement.

Cette commission s’occupe aussi du suivi du reboisement, initié en 1999 avec l’aide de Rezé (ville avec laquelle Diawar est jumelée) et d’un chantier de jeunes qui avaient replanté des arbres de différentes essences dans un village, où ils avaient disparus. Les enfants veillent à ce que l’entretien se fasse, l’arrosage, la protection vis-à-vis des animaux errants. Une nouvelle opération de reboisement a eu lieu en août 2002, avec l’appoint financier d’une association de jeunes de… Rezé, et la participation des instituteurs, des écoliers, dans la mesure de leurs possibilités, car le sol est vraiment très dur.

La santé est un vraiment un élément clé et essentiel de la politique de l’école, dans un pays où sévissent le paludisme et la fièvre jaune entre autres ; la malnutrition au quotidien et la sous-nutrition pour un tiers de la population selon la FAO. Que peut faire l’école ? Et bien, si le dispensaire a été électrifié avec des panneaux solaires (depuis 2000, tout le village est électrifié, enfin, mais seulement les maisons qui peuvent se payer le raccordement), c’est avec l’aide de Rezé qui aconsidéré que l’école et le dispensaire devaient marcher de pair. La commission aide l’infirmier lors des campagnes de vaccination ; ce dernier vient régulièrement à l’école pour informer les enfants sur différents sujets. La commission dispose d’un petit stock de médicaments pour les petits malaises (les médicaments ne sont pas remboursés au Sénégal ; une mutuelle de santé est en voie de création), et si besoin prévient l’infirmier.

Alors, est-ce que l’on peut considérer que l’école participe au développement du village et de sa population ?

Certainement pas d’une manière totale, de nombreux habitants souffrent toujours quand une catastrophe climatique, la privatisation des organismes rizicoles d’État viennent perturber la récolte et entraîner les familles dans une très grande précarité. Mais l’école participe aussi à la diversification des activités agricoles avec le jardin de maraîchage dont les légumes sont vendus aux habitants du village ; un poulailler qui est un modèle de propreté (les plats sont souvent constitués de riz, quelques rares légumes et d’un peu de poisson du fleuve ou de Saint-Louis), et cela peut aussi amener un peu de variété dans l’alimentation.

Les parents rencontrés fondent de grands espoirs dans la scolarisation de leurs enfants, car très souvent ils n’ont pas pu l’être, et ils promettent de tout faire pour que leurs enfants puissent continuer après l’école primaire. Ce qui d’ailleurs se fait déjà malgré l’absence de collège à proximité, le premier est à 27 kilomètres par la piste (faut-il le préciser, il n’existe pas de service de ramassage).

La scolarisation des filles est une réussite dans ce village car certaines années elles sont plus nombreuses que les garçons malgré des abandons plus précoces et plus nombreux ; elles ont des responsabilités au sein de la coopérative scolaire, une fille était présidente et une autre vice-présidente en 2001-2002. Les filles sont de plus en plus nombreuses à poursuivre après le CM2, et à refuser les mariages précoces ; ce qui devrait avoir des conséquences sur la fécondité — à la baisse —, la polygamie et permettre aux femmes de développer dans de meilleures conditions de petites activités économiques.

L’éducation ne permettra pas de résoudre tout et tout de suite. Mais aux questions : faut-il continuer ? ; faut-il faire connaître ce qui se passe à Diawar ? ; doit-on tenter de propager cette « expérience » ? ; les instituteurs et institutrices de l’Association sénégalaise de l’école moderne (ASEM, qui fait partie du mouvement Freinet) ont déjà répondu par l’affirmative. Une autre école, près de Saint-Louis à Ricotte, un petit village d’agriculteurs est en train, sous l’impulsion d’un ancien instituteur de Diawar de connaître la même évolution, et dans un temps plus court (l’école n’a que cinq années d’existence).

Ces enseignants se contentent de travailler, sans passer leur temps à chercher les coupables, avec leurs moyens. Alors, doit-on les aider et les soutenir dans leur objectif de développer une éducation de qualité qui pourra se révéler émancipatrice ?

Olivier Clairat