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« Du bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire français » de René Naba

Autosatisfaits, s’abstenir !

Le jeudi 16 janvier 2003.

D’une plume attentive et incisive, souvent trempée dans l’acide du souvenir, René Naba nous fait revivre — par une douloureuse remontée dans le temps — la sinistre aventure du colonialisme européen et surtout français de la Renaissance à nos jours.

Les « bougnoules » de la fin du XIXe-début du XXe siècle, les « sauvageons » depuis les années 80, autant d’expressions qui trahissent l’imaginaire des Français et des Blancs en général et les vieux archétypes valorisants et bien pratiques : le « nègre Banania », le « burnous qu’il faut faire suer », le « pas de pétrole mais des idées », etc. Pourtant combien de centaines de milliers de ces « niaquoués » sont morts pour des guerres d’Occidentaux qui ne les concernaient pas, combien furent massacrés quand ils eurent le toupet de revendiquer un statut de citoyens en échange des services rendus avec leur sang (massacre de Sétif de 1945, etc.). Vénus hottentotes et phénomènes de foire exposés en cage pendant les « expositions coloniales », chair à canon, chair à bordel…

Cette prétendue supériorité de l’homme blanc s’est instaurée dans les esprits d’une façon ambiguë et perverse :

Colbert libérait les « esclaves » venus des îles qui posaient le pied en douce terre de France mais instaurait le sinistre Code noir de l’esclavage… En Algérie coloniale, parole de prélats, un cardinal Étienne Duval répond à l’abominable Lavigerie l’évêque des colons, Bollardière fait pendant au cynique Aussaresses, René Dumont à Charles Pasqua, etc.

René Naba se montre tour à tour érudit, analyste politique, sociologue sans se départir de cette ironie amère teintée d’humour noir qui nous vaut certaines formules savoureuses :

L’apartheid soft à la française, l’impensé colonial, le racisme républicain (Jules Ferry), la culture de l’impunité et de l’amnésie (à propos de Papon), Pieds-noirs et Pères blancs (en Algérie)… L’Algérie sera livrée aux colons par une politique d’assimilation qui assimilera tout sauf l’indigène… Aux lecteurs d’en découvrir bien d’autres.

Plus loin, il analyse avec pertinence (et impertinence) les positions actuelles des pays riches sur le « terrorisme » des minorités, sur « l’omerta républicaine » au pouvoir en France, la position paradoxale des USA champions autoproclamés de l’esprit libéral et de la démocratie mais surtout caution des régimes les plus injustes et réactionnaires du monde entier, la « solidarité expiatoire » du monde chrétien avec les juifs, qui lui permet de « purger » à peu de frais son passif auprès de ces derniers en « bouffant de l’Arabe » et en soutenant Israël dans sa guerre d’extermination du peuple palestinien.

Pour conclure, l’auteur rappelle qu’au cours de l’histoire, ce racisme tenace et omniprésent a pu être contourné et désarmé lors de la « symbiose andalouse » de l’occupation mauresque en Espagne, et il veut croire à un recours possible, une alternative à cette maladie honteuse ; il milite comme René Dumont pour « qu’à la loi de la jungle d’un monde unipolaire propulsé par les conglomérats multinationaux », se substitue enfin une véritable « politique des égards » entre les hommes.

René Naba de famille libanaise, élevé au Sénégal, journaliste pendant vingt ans à l’AFP, directeur de radio libre est aussi l’auteur de Guerre des ondes, guerre de religion aux éditions L’Harmattan (1998) et de Rafic Houriri, un homme d’affaires premier ministre (1999) chez le même.

François, groupe Louise-Michel


Du bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire français de René Naba, L’Harmattan, 14 euros.