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La Rafle des Roms

Le jeudi 8 mai 2003.

Le mercredi 16 avril 2003 s’est déroulé au tribunal d’instance de Bobigny le procès concernant la rafle de Roms effectuée par la police nationale le lundi 14 avril à 6 h 30 du matin.

Les accusés étaient au nombre de 33 ; pour la plupart des femmes et leurs enfants, parfois en bas âge, dont un bébé d’un mois (les hommes passant au tribunal de Meaux et de Paris). Tous étaient poursuivis pour séjour irrégulier, même si pour certains le visa était encore valide.

L’audience s’est déroulée dans des conditions inadmissibles et indignes d’un pays qui se dit le « pays des droits de l’homme ».

En effet, après avoir été enfermés pendant 48 heures dans les sous-sols du tribunal de Bobigny, véritables caves faisant office de centre de rétention, sans médecin et sans traducteur, ils ont été acheminés comme du bétail dans une salle d’audience minuscule où la température ambiante était d’au moins 25° C.

Le procès devait commencer à 10 heures, cependant l’absence de traducteur a provoqué le report à l’après-midi, d’autant plus que leur avocat était débordé par le nombre des dossiers à traiter (« 150 dossiers en 48 heures »). La juge, exprimant son mécontentement, a déclaré : « Il faut que ça aille vite ! »

À 11 h 15, la police évacue les témoins de la salle (une quinzaine de personnes.) pour faire sortir les Roms sous bonne escorte policière et les ramener au centre de rétention.

À 13 h 45, le groupe est ramené devant le tribunal.

À 14 h 40, l’avocat Me Ilsoum demande à la juge un moment pour consulter les familles en privé — ce qu’il n’a pu faire auparavant par manque de temps —, et dans des conditions contraires à la loi française (en effet, la porte séparant la salle d’audience de la salle de concertation est cassée). La juge, le chef de la Brigade d’assistance technique et la directrice du centre de rétention montrent clairement leur agacement…

À 15 heures passées, l’audience commence enfin ! L’avocat, après 45 minutes de plaidoirie demande l’annulation des poursuites pour « nullité absolue de tous les actes ».

Les conditions d’arrestation sont contraires à la Cour européenne des droits de l’homme et nous rappellent fortement la façon dont la police française raflait les juifs en 1941. « Mon grand-père fut arrêté et déporté de la même manière. »

 Les femmes ont été fouillées par des hommes.

 Fausse déclaration des procès verbaux qui stipulent « avoir interpellé les individus dans la rue » alors que les policiers sont entrés dans la maison pour faire sortir les Roms, ce qui se nomme clairement une rafle.

 L’expulsion s’est effectuée à 6 h 30, et la déclaration de garde à vue ne s’est faite qu’à 10 h 30 ; ce qui est illégal quant aux délais.

 Les procès verbaux, ne stipulent pas le nom de l’interprète !

 Les conditions de rétention sont horribles : le centre de rétention de Bobigny étant situé dans les sous-sols du tribunal. Pas de médecin (alors qu’une femme est atteinte d’une infection aux yeux, sans parler des femmes enceintes), pas de traducteur, des draps en papier, pas de serviettes hygiéniques, pas de serviettes pour se sécher après la douche, pas d’issues de secours, pas de salle prévue pour l’aide juridique ni pour voir un médecin intimement (ce qu’ils n’auraient pu faire vu l’absence de traducteur), pas de séparation entre les sanitaires (W. C. « à la turque », urinoir à hauteur des enfants en bas âge… et odeur nauséabonde), les pièces servant de chambres. Tout cela sans parler des infrastructures pourries (ce que j’ai personnellement constaté).

 Les détenus sont censés être « libres » de 9 heures à 15 heures, ce qui n’a pas été respecté. « Il n’y a que douze fonctionnaires… » (selon le représentant de la préfecture) Par ailleurs, le commissariat a refusé de présenter les papiers de réquisition (fait d’autant plus marquant que l’expulsion était prévue pour le 22 avril !).

 Séparation des familles ; ce qui est aussi interdit par la loi.

Lorsque l’avocat insiste sur le caractère illégal de ces faits et de ces bavures, la juge lui répondra que « cela arrive souvent », ce qui pour elle allège la gravité de la situation.

Le représentant du préfet répondra que « les conditions de vies sont meilleures dans le centre de rétention que dans leur immeuble immonde », qu’il n’y a pas atteinte à la vie familiale, car la séparation ne dure que quelques jours. Pour les enfants enfermés dans des caves, il dira : « Mais les enfants accompagnent leur mère, c’est ce qu’il y a de plus logique » et que les hommes et les femmes ont été séparés « pour des raisons matérielles ». Un enfant ne peut pas être détenu selon la convention des droits de l’Enfant (1990).

La juge refusera par ailleurs d’auditionner les témoins et de visionner les images de l’expulsion ! (France 3)

À la demande de libération et d’« assignation à résidence » dans des maisons d’accueil (la maison ouverte à Montreuil), le représentant de la préfecture répondra que cela n’est pas possible « étant donné que le squat a été détruit » !

Dès lors, les sanctions tombent : la première jugée, une jeune femme enceinte sera remise en rétention alors qu’elle possède son passeport, la deuxième femme sans passeport et ne pouvant « prouver l’existence de ses enfants » subira le même sort, ainsi que quelques autres…

Cependant, à la pause, nous apprenons que le tribunal de Meaux a libéré tout le monde pour « vice de procédure » ; dès lors, la juge, embarrassée assignera à résidence les autres en attendant leur probable expulsion sans revenir sur sa décision concernant les précédents accusés !

À 20 heures, l’audience est terminée, et nous avons alors pu partir avec les femmes et leurs enfants libérés pour organiser l’appel, la suite des poursuites administratives, et récupérer leurs bagages au commissariat de Bobigny comme de vulgaires délinquants.

Aujourd’hui, en France, les Roms sont traités comme des animaux, ne méritant pas une justice équitable et respectueuse des droits de l’homme. N’oublions pas qu’il furent les premières victimes des déportations nazis et françaises et, qu’en Roumanie, ils sont toujours victimes de persécutions de la part de l’État roumain. En agissant ainsi, l’État français se rend complice de discrimination et institutionnalise le non-respect des lois par la voie judiciaire elle-même !

Julien


Julien est membre du collectif de soutien aux Roms de Montreuil.

Vous pouvez contacter le collectif à l’adresse suivante : insensesansfrontiere@no-log.org ou romsdemontreuil@free.fr