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Pas de partage du travail sans partage égalitaire des richesses

décembre 1995.

Nous sommes aujourd’hui dans une situation où les politiques se révèlent incapables de démonter le mécanisme d’exclusion en cours, ou même de l’enrayer (mais le veulent-ils réellement ?).

En effet, le chômage est le produit d’une logique économique et politique, celle du capitalisme. Le travail, qui est la source de revenus de l’immense majorité, subit la loi de l’offre et de la demande. Le chômage (mais aussi la menace du chômage) a également des conséquences sociales sur ceux qui ont un emploi.

Des mesures — Pour diminuer le chômage, on constate qu’il existe comme un lieu commun, repris par la classe politique, à savoir le travail à temps partiel partout où cela est possible, avec diminution de salaire. En fait, créer de nouveaux emplois grâce aux économies faites sur le dos des travailleurs auxquels on demande d’accepter, contraints et forcés, de travailler moins (en nombre d’heures) et de gagner moins. Dans les faits, on sait que dans les entreprises où le partage du travail a été pratiqué, il l’a été sous prétexte de préserver des emplois, mais à aucun moment dans le but de créer de nouveaux postes. Le discours dominant évoque la création d’emplois, essentiellement sous la forme de petits boulots. Dans le même temps, on constate que, ces deux dernières années, le nombre d’heures supplémentaires a doublé (enquête INSEE 1995), que les emplois précaires représentent près de 25% des emplois salariés (10% en 1975).

Cette solution des petits boulots et des stages bidon (d’ailleurs fort lucratifs) est non seulement intolérable mais représente un gâchis à l’encontre des individus, qui n’ont d’autres possibilités pour survivre que d’être exploités et/ou assistés par l’État et le patron.

La « flexibilité », quant à elle, n’a absolument pas pour vocation de permettre des embauches, mais au contraire de rationaliser la gestion de l’entreprise au profit du patronat. Ce patronat qui, profitant d’enquêtes d’opinion favorables au partage du travail avec diminution de salaire, a saisi l’occasion pour mettre en place des plans de restructuration qui représentent autant d’importantes régressions sociales. Ces plans sont d’ailleurs toujours abondamment relatés par les médias officiels, qui parlent de plébiscite, alors qu’il s’agit de chantage. Cette notion de partage ne tend, en fait, qu’à mettre en conflit, en opposition, les chômeurs et ceux qui travaillent, alors que la véritable opposition demeure celle entre exploiteurs et exploités.

Des conséquences — La sacro-sainte loi du marché ne correspond pas, en vérité, aux besoins réels des personnes mais seulement aux besoins de ceux qui ont les moyens de consommer… Les autres sont exclus, sacrifiés pour les besoins du capital. Si nous ajoutons à cela que nombre de travaux sont loin d’être indispensables, voire même nuisibles, il paraît évident qu’une nouvelle organisation du travail, dans sa répartition et son contenu, est non seulement une question essentielle pour l’avenir de l’humanité mais un problème auquel il est maintenant urgent d’apporter une solution. La logique mondiale du capitalisme est celle du profit immédiat et du transfert de nombreuses productions en direction de pays ou la main d’œuvre est la moins coûteuse. Les Européens ont tout autant le droit de travailler que les Asiatiques et ceux-ci ont parfaitement le droit de ne pas être plus exploités que les Européens qui ont encore du travail.

Partager ? — Nous ne pouvons partager le travail sans partager les richesses. Nous ne pouvons admettre que certains se partagent la misère tandis que d’autres se partagent les bénéfices. Partager, oui, mais tout partager. Les privilèges doivent être abolis, les ressources naturelles appartenir à tous. Le travail doit avoir pour objectif de subvenir aux besoins matériels des individus et non de les aliénés. La production doit être utile (conçue pour durer et non pour maintenir le taux de production) et rationalisée dans l’intérêt de la collectivité non dans celui du patronat. Un temps de travail réduit pour tous ; un temps libre accru pour tous, une société garantissant au minimum à chacun un logement décent, les besoins vitaux de nourriture et de soins ainsi que l’accès à la formation.

Pas de liberté sans égalité sociale — Un partage du travail réel et effectif ne peut s’instaurer que dans une société libertaire ; c’est-à-dire ayant pour base l’égalité économique et sociale. L’égalité de droit constitue une garantie de liberté optimale pour chacun. Un partage réel ne peut être parcellaire : les décisions et la gestion doivent devenir l’affaire de toutes et de tous ; le terme « gestion » étant pris dans un sens global.

En effet, toute production ayant pour objectif un mieux être social, la gestion de celle-ci doit être organisée par les consommateurs ou usagers. Ibut cela ne va pas tomber du ciel, un grand soir, il faut donc, dès aujourd’hui, entamer un processus menant à une abolition du salariat, ainsi que du chômage.

Ne pouvant compter sur la classe politique ni sur le patronat pour opérer un tel changement, les exploités devront compter sur eux-mêmes et gérer enfin leurs propres affaires, décider enfin de quoi sera faite leur vie quotidienne.

La Fédération anarchiste est une organisation révolutionnaire dont le projet demeure une société égalitaire fondée sur le fédéralisme et la gestion directe. Ses militants sont engagés dans diverses organisations syndicales et/ou associations, afin de parvenir, dès aujourd’hui, à des progrès sociaux allant dans le sens d’une émancipation sociale réelle. Il est possible, dès maintenant, d’entamer un processus revendicatif capable de mener à une remise en cause des vraies raisons du malaise, à savoir le capitalisme d’État ou privé. Nous exigeons la réduction du temps de travail dans tous les secteurs d’activité, sans diminution des revenus. Il nous semble parfaite-ment évident que nous n’obtiendrons satisfaction que par la lutte. Il appartient donc aux salariés d’être aujourd’hui solidaires en actes des exclus ; cette solidarité passe nécessairement par une solidarité des salariés entre eux.

Groupe Louise-Michel (Paris)