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Plein vent dans les voiles

Le jeudi 15 mai 2003.

Le port du voile (foulard…) est la dimension la plus visible de la situation des femmes dans le monde musulman. Son ambiguïté revêt deux aspects contradictoires : pour les unes, il est un signe d’asservissement, pour les autres, un signe de liberté, d’affirmation de soi en s’appropriant la sphère publique. C’est après la révolution islamique en Iran, en 1979, que le port du voile devient un enjeu majeur dans le monde musulman afin de se démarquer de la culture occidentale. Historiquement, les recherches d’anthropologues ou d’ethnologues comme Germain Tillon montrent que le port du voile est plus ancien que l’Islam né au VIIIe siècle après JC dans la péninsule arabique et, géographiquement différent, incluant le littoral méditerranéen mais pas toutes les régions converties à l’Islam.

Le voile, obligation impérieuse pour les femmes musulmanes ?

Il semble que le voile ne fut pas imposé dans les premières années de la « révélation » du Coran mais le passage de l’endogamie à l’exogamie fit obligation aux femmes musulmanes de se cacher des regards « impurs ».

Les sourates, comme souvent, sont contradictoires à ce sujet et, selon leur interprétation, porter le voile est soit une recommandation, soit une obligation.

Le discours religieux fondamentaliste dominant, qu’il soit chiite ou sunnite, interprète certains hadith (récits) de Mohammad pour faire du port du voile une obligation religieuse quand, selon certains théoriciens, cette pratique était liée aux circonstances historiques d’alors et ne figure pas dans les injonctions sacrées. Le voile protège alors les femmes musulmanes du regard des hommes qui ne sont pas de la famille et pourraient avoir des relations sexuelles avec elles ! La sexualité est omniprésente dans le Coran au profit des hommes. La loi islamique, la charia, institutionnalise l’infériorité des femmes par les lois sur le mariage, le divorce, l’héritage, le témoignage devant les juges. La non mixité ajoute à l’enfermement des femmes dans la sphère dite privée. Celles-ci n’existent qu’en tant qu’épouse et mère, sans aucun statut personnel. Selon un hadith « le paradis est sous les pieds des mères ». Ces images fantasmées des femmes sont réactualisées par les fondamentalistes. Un théoricien chiite proche de Khomeiny, l’ayatollah Motahari, écrivit pendant les premières heures de la république islamique d’Iran un livre sur le voile, condition de la maîtrise de la sexualité : « La raison pour laquelle, en Islam, l’instruction de se couvrir est appropriée aux femmes, se trouve dans le fait que l’instinct de séduction est propre à la femme. Dans le domaine affectif, l’homme est le gibier et la femme la chasseresse. De même que, dans le domaine sexuel, la femme est le gibier et l’homme le chasseur. » La femme musulmane vit sous la double contrainte, celle de la religion (Islam signifie soumission à Dieu) et celle du patriarcat. On peut interchanger les religions ou sectes car le mécanisme psychologique reste le même. Le port du voile n’est pas remis en question, lequel devient alors un moyen de s’affirmer en tant que femme musulmane dans la sphère publique. L’influence des Frères musulmans, intégristes de l’Islam, a donné une légitimité au port du voile au motif de protéger la société de la dépravation instaurant une morale rigide à laquelle les femmes ont adhéré par choix ou par nécessité.

Le voile comme affirmation de soi ou protection

Alors que des femmes se font assassiner dans certains pays musulmans comme l’Algérie en refusant de porter le voile au nom de leur liberté et de leur émancipation, on voit, depuis quelque temps en France « fleurir » des voiles de toute couleur, longs ou courts. Ce serait « tendance ».

Le voile islamique a fait son apparition à l’école publique en 1989 dans un lycée de Creil, ce qui fit grand bruit et révéla que la laïcité, objet de la loi de 1905 sur la séparation de l’État d’avec les églises — et non sa neutralité — était à nouveau remise en question. D’autres affaires similaires ont surgi avec des conséquences contradictoires et cela en raison d’un arrêt du Conseil d’État du 27 novembre 1996 à la demande du ministre de l’Éducation nationale de l’époque, « le port du foulard islamique n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité ». Certains établissements scolaires ont eu à se positionner par rapport au port de ce fameux foulard face à des avocats plaidant l’absence de prosélytisme (avocats dépêchés par l’UOIF (l’Union des organisations islamiques de France, organe proche des Frères musulmans financé par l’Arabie saoudite.

La crise identitaire en France de ces jeunes femmes qui ne peuvent trouver leur place que dans la revendication de l’Islam et d’une appartenance communautaire, dérive d’une intégration sociale inadaptée, débouche sur une surenchère d’honorabilité face aux femmes musulmanes non voilées et aux occidentales. Loin de se considérer comme soumises, elles se revendiquent émancipées et modernes. Elles ont introjecté le discours islamo-patriarcal pour exister par rapport à la société occidentale et la laïcité française. Des doutes peuvent se faire jour quant au contenu symbolique et religieux de certaine femme voilée mais maquillée, n’hésitant pas à jouer de sa séduction devant les différents médias !

Il y a donc le voile séduction et le voile protection ; c’est ce dernier qui empêcherait les hommes de violer ou de brûler les femmes considérant qu’elles sont de « la famille », de la communauté musulmane. Porter le voile par peur des représailles machistes ? Une société basée sur la non mixité des individus ne peut qu’apporter des effets pervers par la méconnaissance de l’autre sexe, véhiculant les images symboliques déformées, perpétrées par la religion et le patriarcat.

Au-delà du port du voile islamique, c’est la société capitaliste qui montre sa faiblesse face à la pauvreté, à la précarité, à l’inégalité de ses individus les conduisant à des replis communautaristes. Si le port du voile se développe, quels que soient les arguments avancés, n’est-ce pas au nom d’une reconnaissance identitaire même inégalitaire ? Que dire également d’une société qui accepte une dérogation à la loi et autorise le port du voile d’une religieuse (polonaise, proche de Wojtila ? membre de l’Opus Dei ?) pour faire une photo d’identité qui sera apposée sur la carte du même nom, sous la pression d’une citoyenne sans mandat électif dont le seul « titre » est d’être l’épouse du président de la République ?

Le voile islamique fait diversion dans cette société de répression-sanction et masque d’autres problèmes générés par le capitalisme et le patriarcat.

Jocelyne, groupe Louise-Michel