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Qu’est-ce qui fait mentir le correspondant de « Liberation » au Mexique ?

« À Libération » de Gaspar Morquecho
Le jeudi 26 février 2004.

C’est avec colère que nous avons pris connaissance de l’article de M. David Bornstein paru dans Libération du 1er janvier 2004. « Dix ans après, les rangs désertés des zapatistes du Chiapas » aurait pu s’intituler « Dix ans après, le mouvement zapatiste salement caricaturé par un journaliste ».

Depuis l’inauguration des « caracoles », par le biais de caciques, de paramilitaires et de groupes politiques, les provocations sont continuelles, dans le but de déclencher un affrontement entre indigènes qui donnera le prétexte attendu par l’armée pour intervenir.

L’information de la société civile internationale est essentielle et il nous semble indispensable de revenir sur quelques affirmations de M. Bornstein. Nous joignons à cette lettre ouverte la réponse de M. Gaspar Morquecho, sachant que M. Bornstein récidive dans la calomnie : il insistait déjà, dans un « reportage » publié par Libération en août 2003, dont les sources étaient invérifiables (« un militant français », « un bon connaisseur du dossier au sein du gouvernement »), sur le « soutien à l’ETA » de Marcos, allégation démentie de longue date (voir la « Lettre à l’ETA » de l’EZLN, janvier 2003). Le correspondant de Libération [rejoint] un combat de manipulateur d’opinion contre les zapatistes.

À propos des conditions de l’« emprisonnement » dont « un paysan », d’après M. Bornstein, accuse la junta de Morelia : la junta (conseil régional) n’a aucune geôle et n’a jamais dicté d’ordre d’emprisonnement. Le terme d’emprisonnement est de plus très mal utilisé. Les « geôles » des communautés indiennes (zapatistes ou non) n’ont pas pour fonction d’« emprisonner » les gens [mais] de retenir la personne accusée d’un délit […] le temps de réunir, rapidement, les parties concernées [devant les] autorités de la communauté qui dicteront une sentence. Ce n’est pas [le rôle] de la junta.

Les peines d’emprisonnement sont à l’opposé des usages des communes autonomes : la sentence [est en général] la participation à une série de travaux d’intérêt collectif pour la communauté ou la famille victime du délit.

La tâche des juntas consiste à établir un pont entre la « société civile » et les communautés autonomes. Ce sont « les portes et les fenêtres » du territoire zapatiste.

Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte, http://cspcl.ouvaton.org


À Libération

Señores de Libération, j’ai reçu récemment […] une copie de l’article « Dix ans après, les rangs désertés des zapatistes du Chiapas », signé par votre correspondant au Mexique David Bornstein, dans lequel je suis mentionné comme une des « sources ».

« Une analyse que Gaspar Morquecho, l’une des figures de la “société civile” de San Cristobal, engagé aux côtés des “insurgés” depuis plus de quinze ans, doit admettre à contrecœur. “C’est vrai, les effectifs sont en baisse, peut-être un tiers de la population indigène — soit 10 % du Chiapas aujourd’hui — contre le double ou le triple en 1995.” »

J’ai eu une longue conversation avec votre jeune correspondant, réduite à cinq lignes, le plus grave est que le contenu ne correspond pas à mes points de vue et aux convictions que j’ai exposées (…) durant l’interview (…) :

1. Ma sympathie pour les « rebelles » a commencé il y a dix ans, ce 1er janvier 1994 sur la place centrale de San Cristobal de las Casas.

2. Quant aux effectifs zapatistes, jamais je n’ai dit qu’ils étaient « en baisse ». Au contraire, j’ai la certitude […] que ces effectifs se sont renouvelés et renforcés : j’estime qu’il y a — au moins — 10 000 insurgés en alerte et des milliers de miliciens en plus dans les bases d’appui.

3. En référence au total des Indiens zapatistes, je faisais le commentaire que mon calcul est qu’un tiers de la population indigène est zapatiste, c’est-à-dire qu’au moins 300 000 Indiens sont zapatistes, quantité qui correspond, effectivement, à 10 % de la population du Chiapas. Sans compter les milliers de zapatistes dans le reste du pays et autant de sympathisants répandus à travers le monde.

4. Le manège auquel se livre Libération coïncide avec la velléité broyeuse de quelques médias et journalistes qui, à dix ans du soulèvement, soulignent, par exemple : « 1994-2004 la grande illusion, 1994-2004… la grande frustration » (Proceso, édition spéciale nº 13, Mexico) ; « Les Zapatistes s’enlisent au Chiapas » (El Pais, 28 décembre 2003, Espagne) ; « Une décennie après : les métamorphoses de Marcos » (Bertrand de La Grange, Milenio nº 329, Mexico) ; « Dix ans après, les rangs désertés des zapatistes du Chiapas » (Libération, Paris).

C’est tout.

Hiver 2004.

San Cristobal de las Casas, Chiapas. Mexique.

Gaspar Morquecho