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Ce qu’il reste d’une liste

Le jeudi 1er mai 1997.

L’événement du dimanche 27 avril 1997 était, à en croire les journalistes, la diffusion de La Liste de Schindler sur TF1 à 20 heures 45. Peut-être conviendrait-il mieux de parler de liste tronçonnée par des spots publicitaires choisis en accord avec le cinéaste Steven Spielberg, réalisateur du film.

Certaines publicités furent écartées pour des raisons obscures et d’autres acceptées sans qu’on puisse comprendre vraiment ce qui présida à ces choix. Enfin, ça permet aux spectateurs émus de pousser jusqu’au réfrigérateur pour sortir la bière de la glace. De plus, il y a fort à parier que les enchères montèrent très haut autour de ces plages de « communication »… pensez ! un public liquide de bons sentiments est une bonne victime pour l’intoxication publicitaire.

Mais, cela n’est rien. On peut aussi parler de liste purifiée, tronquée, puisque des scènes « de nudité » et « de violence » ont été coupées afin que le film puisse être diffusé à une heure d’audience « familiale ».

En appeler à la sensibilité, d’accord, à condition que la crudité reste en arrière-plan. Naguère, on ne montrait pas les lames à nu sur scène, aujourd’hui, on occulte la matérialité de la vie et l’on édulcore l’épouvante pour des raisons mercantiles.

Car, en fin de compte, et quelque pussent être les raisons premières qui animèrent Spielberg, ce sont encore les tiroirs-caisses qui furent les grands vainqueurs de l’opération.

Que subsiste-t-il du passé et de ses enseignements après ce traitement de l’histoire ? J’ai bien peur qu’il ne reste qu’une vision fausse et dangereuse : celle d’un temps de simplicité où les méchants n’étaient que des méchants et les bons de braves types, ou femmes, exempts de calculs et d’aspirations personnelles au pouvoir.

Certes, il y eu des Schindler et des Goebbels, mais ne vouloir retenir que ces figures d’exception, c’est faire l’impasse sur la réalité d’une époque sombre.

C’est vouloir encore faire reposer entre les « mains » de quelques « têtes » la responsabilité d’une horreur qui exista surtout par la complicité des peuples ; que celle-ci fut active ou passive m’indiffère et de toute façon n’excuse en rien ceux qui s’en firent les acteurs.

Transformer en spectacle familial et édulcoré un des épisodes les plus immondes de l’histoire humaine, c’est préparer à d’autres horreurs, c’est, par maladresse sans doute, préparer les hommes et les femmes à la passivité. Plutôt que de nous révolter aujourd’hui contre les monstres renaissants, reposons-nous sur les Schindler à venir.

Bien vu le tour de passe-passe. Ni vu, ni connu, j’t’embrouille et je fais d’une pierre deux coups : je t’endors et j’en viens à te faire passer le mythe du bon industriel qui protège les pauvres opprimés.

Ce que je peux aimer la télé !

L’Atèle
Paris, le 27 avril 1997