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Belgique

Article 342

non à la loi scélérate
Le jeudi 11 septembre 1997.

Comme à peu près tout le monde, c’est fort tard que nous avons appris qu’un projet de loi relatif aux organisations criminelles a été adopté par la Chambre le 5 juin 1997.

La lecture des articles 342 et suivants ainsi que l’exposé des motifs nous laissent perplexes à plus d’un titre. Toute organisation composée de plus de deux personnes en vue de commettre de façon concertée et structurée des crimes punissables […] pour obtenir illicitement des avantages patrimoniaux ou détourner le fonctionnement d’autorités publiques ou d’entreprises publiques ou privées et en utilisant l’intimidation, la menace, la violence, les armes […] ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation d’infrastructures constitue un crime ou un délit par le seul fait de l’organisation.

Tel est le projet de l’article 342 du Code pénal. L’exposé des motifs est, lui aussi, édifiant.

[…] Il est précisé que l’appartenance n’implique pas qu’il y ait une participation effective à la préparation ou à la réalisation d’une infraction.

[…] La deuxième catégorie concerne les personnes qui ne sont pas membres de l’organisation criminelle mais qui fournissent une aide à l’organisation […] ou qui participent à la préparation ou l’exécution d’activités licites de l’organisation.

Faut-il comprendre qu’au terme de la mise en œuvre de cette loi, il conviendra de procéder, notamment et pour commencer, à l’arrestation de ceux qui l’ont rédigée, du ministre responsable, de l’ensemble de son cabinet, de son chauffeur, voire de sa femme d’ouvrage ? En effet, n’auront-ils pas, par leur action conjuguée, fait passer la Belgique d’un État qui se proclamait « de droit » à un État de tous les arbitraires dans lequel disparaîtra la subjectivité de la responsabilité pénale : l’individu ne sera plus jugé sur ses actes mais sur son appartenance à un groupe décrété criminel. Avec l’article 342, l’État n’aura plus besoin d’un délit objectif pour faire incarcérer une personne, la présomption d’innocence disparaît.

De plus, les modalités de criminalisation prévues par l’article 342 introduisent la notion de délit politique. Caractère terroriste, extrémisme… Que doit-on comprendre par là ? N’oublions pas qu’en Allemagne nazie, les sociaux-démocrates étaient considérés comme ennemis de la nation.

Cette notion de délit politique est d’autant plus pernicieuse qu’elle s’attaque aux droits garantis à chaque individu, non pas directement, à visage découvert, mais au travers de l’« organisation » à laquelle il est censé appartenir. Serait-ce parce que la célébration des droits de l’homme reste la dernière idéologie tolérée ?

Avec l’article 342, l’État se débarrasse des dernières traces de son vernis démocratique et révèle sa véritable fonction : contrôler de façon toujours plus autoritaire la population en général et les classes dangereuses en particulier.

Dans le cabaret de la globalisation, l’État se livre à un strip-tease au terme duquel il ne conserve que le minimum indispensable : sa force de répression […]. Au lieu d’orienter l’investissement public vers la dépense sociale, il préfère améliorer les équipements qui lui permettent de contrôler plus efficacement la société (Sous-commandant Marcos, La quatrième guerre mondiale a commencé, Le Monde diplomatique, août 1997).

La perversion du fonctionnement de la justice, dans ce cas précis, apparaît de manière plus flagrante encore dans la qualification floue et discutable des méthodes d’action ainsi criminalisées : l’intimidation (?), la menace (?), la violence (où commence-t-elle ? De qui vient-elle ?). L’interprétation de ces notions varie selon la position sociale des individus et il sera loisible aux juges de criminaliser ou non ces publications, pétitions, manifestations plus ou moins animées, campagnes d’affichage, attentats pâtissiers… selon leurs opinions propres. Ainsi, l’organisation d’un piquet de grève ou de l’occupation de locaux par un syndicat ne seront-ils pas toujours jugés par l’autorité comme des actions qui visent à détourner le fonctionnement d’entreprises publiques ou privées en utilisant l’intimidation ou la menace…

Le mouvement libertaire conteste, par définition, la légitimité de tous les pouvoirs au premier rang desquels celui que les États exercent sur les individus. Le projet de loi sur les organisations criminelles ne fait que confirmer cette défiance face au danger d’oppression totalitaire présent en germe dans toute structure étatique : tout pouvoir est déjà un abus de pouvoir. C’est pourquoi il se battra avec toute son énergie pour le retrait pur et simple de ce projet de loi dont l’application ne ferait que renforcer le processus de déshumanisation de la société.

Groupe Alternative libertaire (Bruxelles)