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Détruire la pub

se réapproprier l’espace public
Le jeudi 25 mars 2004.

Le 13 mars avait lieu une manifestation pour la liberté d’expression et contre le totalitarisme publicitaire. Plusieurs milliers de personnes ont défilé dans Paris en soutien aux 62 inculpés antipub.



Durant l’hiver 2003 est apparu un mouvement antipub large et relativement organisé, comparativement à l’absence des grandes centrales syndicales, des organisations et des partis. La lutte s’amplifiant, des manifestations ont rassemblé plusieurs centaines de personnes qui transformaient l’espace pub en espace public de libre expression. Face à un mouvement spontané mais grandissant, la répression s’est abattue, et 62 personnes ont comparu le 10 mars pour dégradation dans le métro parisien ; la filiale de Publicis, Métrobus, réclame un million d’euros de dédommagement ! Si le délibéré ne doit tomber que le 28 mars, le mouvement n’en a pas directement pâti, et pour une fois l’offensive et la contre-attaque sont utilisées comme défenses efficaces. Une action était lancée le samedi 28 février, un rassemblement organisé devant le tribunal, d’innombrables concerts de soutien aux 62 sont préparés : la manif du 13 mars prolonge ces événements. La spontanéité et l’indépendance face aux organisations caractérisent positivement le mouvement, qui traduit une réelle réaction au totalitarisme tentaculaire de la pub.

En effet, chaque jour, dans le métro, la rue, les médias, sur les routes, nous recevons 2 500 messages publicitaires. Cette agression peut paraître anodine pour certain.e.s. Elle est pourtant redoutablement efficace. La preuve : les annonceurs y consacrent plus de 24 milliards d’euros par an. Vous pensez que la pub est une forme d’art ? C’est avant tout une propagande marchande. Si les publicitaires font dans le beau, le rigolo ou le nouveau, c’est surtout pour vous faire mettre la main au porte-monnaie. Enfermé.e.s sous terre, ballotté.e.s dans les wagons, nous, usager. ère. s du métro, promeneur. euse. s ou chaland.e.s, sommes à la merci de l’avalanche d’affiches qui couvrent les couloirs, les quais, les rues… Les publicitaires profitent de notre passivité pour nous imposer des images que nous ne choisissons pas, et dont le seul message est : « Achetez ! »

De la même façon, la télévision empêche toute pensée autonome : les 3 heures quotidiennes regardées en moyenne en Occident formatent les consciences. Dans la société du spectacle, les débats (et ainsi nos « choix ») nous sont imposés par le rouleau-compresseur médiatico-industriel. Les rengaines les plus réactionnaires sont ainsi chaque jour rebattues : la pub montre un monde formaté où la liberté peut s’acheter (sic), où les rôles sexués (sexistes !) sont nettement tranchés (aux femmes objets érotiques s’opposent les hommes virils et volontaires), où la couleur de peau vire à un blanc tristement uniforme (sauf pour les produits à base de noix de coco !), où les seules personnes âgées sont montrées comme atteintes d’un mal à éradiquer (pour la pub : vieillesse = laideur = abandon = mort).

« Zone libre » ?

Il est impossible d’éviter la pub qui « orne » les murs du métro, et plus largement tout l’espace public ainsi privatisé. C’est en cela qu’elle est une véritable agression. Alors que sévit toujours une loi (datant de Pétain) qui sanctionne la distribution de tracts dans le métro, les publicitaires, eux, envahissent l’espace. La liberté d’expression, ça se paye !

La « liberté » d’expression est tolérée si elle est formatée et noyée dans la masse. La véritable liberté d’expression se paye ou se fait réprimer si elle déborde des cadres définis par le pouvoir. Ainsi en est-il des personnes inculpées par Métrobus (filiale du groupe Publicis) pour dégradation des espaces publicitaires dans le métro. Et si c’était la pub qui dégradait nos relations sociales, nos aspirations, et plus largement nos conditions de vie ? Eh bien, alors, nous n’avons qu’à nous taire, car nous vivons en démocratie, paraît-il… Aucune démocratie ne pourra jamais voir le jour tant que le règne de la marchandise sera sans partage : il n’y a pas de capitalisme à visage humain.

Au même titre que la vidéosurveillance, la criminalisation des fraudeur. euse. s et l’omniprésence du flicage, la publicité pervertit l’espace public. Celui-ci devient une zone de contrôle et de consommation alors qu’il devrait être un lieu de vie collective, de création et de libre expression.

OLS Paris