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Paris

En direct de la Bourse…

Le jeudi 22 janvier 1998.

À lire la presse du 14 janvier dernier, sur les événements du 13 et la prise de la Bourse du commerce à Paris, nous pouvons nous demander si manifestants et journalistes ont assisté au mêmes évènements.

Effectivement, à en croire ces bouffons de l’information, la manifestation s’est déroulée en deux temps. Le premier avec les gentilles organisations réformistes qui tentent comme d’habitude de monopoliser le terrain en se faisant mousser auprès des médias ; et dans un second temps les éléments incontrôlés (traduisez les plus déterminés) — AC !, MNCP, CGT chômeurs, SUD, APEIS, JRE, MIB, CNT, SCALP, et ces enculés d’anarchistes (pour reprendre les termes de Lutte ouvrière et de sa dame patronnesse Arlette Laguiller, à la fin de la manif) — qui saccagent les temples de l’ordre bourgeois. Cette insulte nous concernant, il n’est jamais agréable de se faire traiter de sodomisés, mais en est-elle vraiment une ? Surtout quand elle vient d’une organisation formée de révolutionnaires de salon.

Le film de la journée

En fait, nous étions environ 500 personnes à envahir l’endroit, tout ceci dans le calme le plus parfait. Un podium s’est spontanément dressé au centre de l’hémicycle où chacune des organisations pouvaient prendre la parole. Les étages ont été investis, les banderoles dépliées le long des balcons, et les drapeaux noirs flottaient dans le bâtiment. Les employés discutaient tranquillement avec nous ; une employée racontait qu’elle était en CDD et qu’elle ne savait pas si le mois prochain son contrat serait prolongé, qu’enfin la prime de précarité ne lui serait pas versée. L’atmosphère était jusque-là bon enfant.

Soudain, les CRS cantonnés tout autour du bâtiment lancent un premier assaut, ils sont repoussés. Aussitôt tout le monde se mobilise pour former des barricades aux portes d’entrée : des échafaudages rangés à même le sol servent de matériel de défense. Une seconde charge est alors effectuée par les séides du pouvoir, elle est cette fois repoussée violemment alors que les CRS tiraient des lacrymogènes à bout portant sur les manifestants. La colère des occupants s’est alors exprimée dans toute son ampleur : jet de projectiles divers à l’extérieur à partir des étages. S’il y a eu des blessés parmi les CRS, ceux-ci en sont directement responsables. La violence des occupants n’a répondu qu’à la violence de la police.

Après deux heures passées à respirer les gaz lacrymogènes à l’intérieur de la Bourse, nous avons décidé de rejoindre en cortège le rassemblement des sans-papiers devant le Sénat. Nous sommes donc sortis en bloc, et le slogan « police partout-justice nulle part » fut finalement remplacé par « CRS-SS ».

Tout est à nous, rien est à eux

On pourra déduire de cette journée que la presse, en intervertissant l’ordre des événements, en arrive à légitimer la répression policière. Mais qu’avons nous donc fait pour provoquer les invectives journalistiques ? Rien, sinon reprendre ce qui nous appartient !

Tous ces lieux de décisions économiques ou politiques sont à nous, nous n’avons pratiqué que la réappropriation. Hier, nous étions à genoux ; aujourd’hui, les chômeurs, travailleurs, sans-papiers… tous ensemble nous sommes debouts. Continuons le combat afin que demain, Jospin et le baron Seillière soient à leur tour à genoux. Précisons aussi la présence de journalistes allemands et italiens à l’intérieur de la Bourse. Ces derniers n’avaient encore jamais vu une action comme la nôtre ; alors si nous devons être un modèle pour ces pays, que ce soit toujours en faveur des exploités et des exclus.

Nouvelles actions

Le lendemain, mercredi 14, une nouvelle action nous a mené à investir l’École normale supérieure, rue d’Ulm, avec la participation d’une partie des étudiants. Tout s’est passé dans le calme le plus total. Mais il faut savoir que ces sympathiques étudiants seront peut-être les cadres futurs du pays… Jeudi 15 janvier, après la prise de l’École polytechnique, la nouvelle cible se situait boulevard Barbès : il s’agissait de l’agence EDF. Ici, les revendications sont précises :

  • pour les personnes dont le revenu est inférieur au SMIC (hors allocations familiales) : apurement des dettes, arrêt des coupures et rétablissement du courant, attribution du tarif industriel jusque là réservé aux entreprises ;
  • dans un ordre plus général : suppression des compteurs à cartes et des limitations de puissance, demande de fonds pour les associations de chômeurs en vue de créer une maison des chômeurs, droit de regard de ces associations pour les attributions d’aides aux plus démunis, embauche de deux personnes pour servir d’interface entre les associations et EDF.

Le directeur de l’agence, qui se réclame chef d’entreprise, refuse de prendre des engagements hors la présence d’un responsable de la mairie. Carrêche, premier adjoint et député PS du 18e arrondissement, joint par téléphone, refuse de négocier, délègue un élu du PC qui n’a aucun pouvoir de décision. La situation s’embourbe. Les camarades s’apprêtent à occuper l’agence toute la nuit…

Les revendications des chômeurs peuvent aujourd’hui être considérées comme mineures ; il s’agit en fait de régler des urgences. Mais rappelons-nous 68, dont c’est le trentième anniversaire : soyons réalistes, demandons l’impossible !

Pascal
groupe Louise Michel (Paris)