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Fonds de pension : les revoilà !

Le jeudi 22 janvier 1998.

Tous, nous sommes d’accord, si extrêmes que soient nos opinions, pour vouloir que les vieillards aient la vie assurée. Il reste à trouver les moyens. Pour atteindre en partie ce but, le gouvernement propose un projet qui est une duperie : il est basé sur une capitalisation qui est une absurdité économique étendue à la société entière. […] Dans l’état actuel des choses, il n’y a qu’un système possible : c’est celui de la répartition, et le gouvernement n’en a pas voulu, il lui a préféré la capitalisation, parce qu’il a en vue non de donner des retraites aux travailleurs, mais de se procurer des ressourcecs extrabudgétaires.

Émile Pouget
Extrait du compte rendu du congrès de Lyon (1901) de la CGT.



Le Parlement, sous le gouvernement de Juppé, a adopté en février 1997 une loi (non encore promulguée) créant les plans d’épargne-retraite, loi vivement combattue alors par ce qu’il restait de la gauche. On ne pouvait, disait-elle avec raison, accepter le recours à un système de capitalisation qui déstabiliserait les régimes par répartition. Pour justifier l’adoption de cette loi, la droite molle et la pure et dure s’appuyaient sur des statistiques qui démontraient que dans un avenir assez proche, le déficit démographique ne permettrait plus aux caisses de retraite par répartition d’assurer des revenus suffisants aux retraités. Trop de pensionnés, pas assez de salariés, sauf à faire payer à ces derniers, et à leurs employeurs, des cotisations insupportables.

Les statistiques, on le sait, selon ce que l’on veut leur faire dire, prouvent tout… et le contraire ! Pour faire court, disons que la possibilité des régimes de retraite par répartition d’assurer des retraites décentes, c’est, quel que soit le chiffre de la population globale, le nombre réel de la population au travail (donc cotisante) et la masse des revenus distribués sous forme de salaires servant d’assise aux cotisations. Or avec sept millions de chômeurs et de gens précarisés, de salariés aux salaires de plus en plus faibles, les ressources des caisses de retraite complémentaire comme celles de la sécurité sociale fondent. C’est donc bien la situation créée volontairement par le capitalisme qui est responsable des difficultés financières annoncées pour la protection sociale.

Attention : manœuvre !

Ces difficultés vont être aggravées par la création des fonds de pension. Les entreprises qui créeront des fonds d’épargne-retraite bénéficieront d’exonérations d’impôts et de charges sociales, ce qui les incitera à choisir ce système au détriment des caisses de retraite complémentaire dont les cotisations ne bénéficient pas de tels cadeaux. Donc leurs ressources se tariront, et elles seront dans l’impossibilité de maintenir leurs prestations à un niveau décent.

C’est bien le but de la manœuvre : mettre en faillite la protection sociale et remettre au secteur privé les sommes énormes en jeu. Les fonds de pension recueillis par les entreprises seront gérés par ces sociétés d’investissement. C’est donc à la Bourse que se jouera — si la loi devait s’appliquer — le sort des retraités.

Ces sommes vont d’une place boursière à l’autre, attaquent les monnaies de tel ou tel pays, et assurent des bénéfices considérables aux agioteurs.

Les retraités, eux, n’ont rien à attendre de bon de ce système. Leur retraite ne dépendra plus du salaire perçu en activité — et donc sans référence à celui-ci — il dépendra uniquement du montant du versement personnel et des éventuels compléments patronaux, lesquels seront, lorsqu’ils existeront, autant de prétextes à refuser les augmentations de salaires. Et il y a encore bien d’autres inconvénients majeurs !

Le système de répartition, lui, est fondé sur la réciprocité ; c’est un système mutualiste. Ceux qui travaillent payent des cotisations pour assurer un revenu aux retraités. Depuis près de cinquante années il a fait ses preuves.

Ayant donc déclaré en période préélectorale et électorale que la gauche ne pourrait accepter la création d’un système de retraite par capitalisation, le parti majoritaire au pouvoir nuance sa position. Le Premier ministre vient d’écrire : « Le gouvernement n’est pas hostile à des mesures favorisant l’épargne de la retraite. »

On ne peut contester l’idée que les salariés du secteur privé puissent disposer de régimes de retraite complémentaire. D’autant qu’il faut veiller à renforcer la solidité financière de nos entreprises. « Tiens donc ! »

Avant, et après les élections…

Pour confirmer cette « évolution », le ministre des Finances, devant un parterre choisi de « responsables » de l’économie, déclare qu’il « allait demander à une mission parlementaire de l’aider à mettre au point un projet de loi qui pourrait être déposé devant le Parlement au printemps ». Gageons que ce sera après les élections cantonales et régionales. Il faut être prudent ! C’est quand même bizarre, cette évolution de la nature des convictions des politiques dès qu’ils ont le pouvoir…

Que contiendra ce projet d’épargne-retraite ? On n’en sait encore rien, mais on peut être déjà sûr qu’il n’ira pas dans un sens socialiste libertaire !

Une preuve de plus, s’il en était encore besoin, que l’essentiel dépend de nous seuls !

André Devriendt