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La Matraque toujours plus proche de chez vous

Le jeudi 19 février 1998.

En octobre dernier, par le biais d’une circulaire qui en fixe les modalités, les Conseils locaux de sécurité (CLS) ont vu officiellement le jour. Le but affiché, c’est de renforcer ce que nos élites dirigeantes appellent la « coproduction de sécurité ». Vocable qui pourrait nous amener à sourire (car aurons-nous droit à autre chose qu’à subir une coproduction de niaiserie ?) si derrière lui ne se cachaient des projets peut-être pas si anodins que cela.

Les CLS, c’est quoi ? Il s’agit de permettre une meilleure coordination entre différents partenaires : élus locaux, Police nationale, gendarmerie, Justice, Éducation nationale, Santé, associations d’aide sociale, mais aussi différents acteurs économiques (compagnies de bus et supermarchés sont de la fête). Tous sont invités à venir débattre d’un plan d’action concret, à définir les priorités et les moyens à mettre en œuvre pour faire régner l’ordre dans nos cités. Objectif : l’éradication de la délinquance urbaine, à la fois par la prévention et par la répression, et par l’action concertée des différents intervenants. On a bien là un outil à « fabriquer » de la sécurité de proximité.

Tout cela, en fait, n’est pas si nouveau. Petit historique édifiant. Cela débute en 1983, avec les Conseils communaux de prévention de la délinquance (CDPD) qui doivent débattre de l’amélioration de la sécurité dans la commune. À l’initiative du maire, ils regroupent déjà des partenaires que nous retrouverons quinze ans plus tard dans les CLS, à savoir la police, la Justice, l’Éducation nationale, les associations. Des instances similaires sont prévues au niveau départemental (CDPD) l’idée était lancée, elle se déclinerait projet après projet : le Contrat d’action de prévention pour la sécurité (CAPS) en 1985, financé pour moitié par les collectivités locales ; puis les Plans locaux de sécurité (PLS) en 1992 qui sont en fait des protocoles d’accord entre la Police nationale et les communes…

Les Contrats locaux de Sécurité, avec sans doute plus de moyens, se situent donc bien dans la même lignée. Avec, d’abord, cette volonté d’une meilleure coordination de tous les partenaires, qu’ils bossent dans le champ répressif ou dans celui de la prévention. L’ensemble des intervenants se trouve ainsi lié par le souci commun d’assurer la paix sociale, ou de la rétablir au plus vite si besoin est. Y compris l’Éducation nationale qui, à défaut d’assurer un enseignement égal pour tous, pourra d’autant mieux jouer son rôle de garde-chiourme pour quartiers « difficiles ». Y compris ces assistants sociaux impuissants à résoudre des problèmes plus importants que l’entretien des terrains de basket, et amenés à collaborer avec l’appareil d’État. Face à une situation économique qui jette de plus en plus d’individus dans la misère, face au néant culturel entretenu et à l’absence de futur, peu importe au pouvoir le sort de la population. En douceur ou dans la douleur, une seule chose compte : surtout pas de vagues. Derrière ce coup de prévention/répression, main de fer dans gant de velours, une même volonté de contrôle social…

Une volonté de contrôle social

Ce contrôle social, aujourd’hui, l’État semble en déléguer une partie croissante aux collectivités locales. Celles-ci ne voient d’ailleurs pas forcément d’un bon œil cette opération (question de finances), même si, des CDPD jusqu’aux CLS, elles finissent toujours par marcher dans la combine (question de pouvoir). On comprend, en tout cas, l’intérêt qu’il y a pour l’État à faire exercer quelques unes de ses prérogatives par des structures locales beaucoup plus proches du terrain : c’est bien plus efficace. Et cela ne fait que commencer. Ainsi, il y a tout lieu de penser que le projet de loi sur les polices municipales qui doit paraître au printemps prochain prévoira un élargissement de leurs fonctions vers des missions de police de proximité qu’elles n’ont théoriquement pas encore (rappelons que leur rôle se limite à faire appliquer les arrêtés municipaux, stationnements, emplacements aux marchés, constats de décès, etc). Par ailleurs, les 35 000 adjoints de sécurité qui seront embauchés dans le cadre des fameux emplois-jeunes sont très officiellement destinés à venir renforcer les mesures prises dans le cadre des CLS.

Autrement dit : « Tu es au chômage ? Avec tes nouveaux amis policiers, viens surveiller les jeunes de ta banlieue ! ».

Les anarchistes ne sont pas dupes. Le capitalisme veut avoir les coudées franches : que l’État-Providence disparaisse, certes, mais qu’au moins la sécurité des investissements soit garantie Si les profits qui augmentent toujours plus créent une situation sociale chaque jour plus tendue, eh bien, reste à l’État à pourvoir au maintien de l’ordre. Le transfert de responsabilités vers des collectivités locales n’est donc pas un changement de nature du pouvoir mais un réajustement du contrôle qu’il exerce sur des populations que la misère croissante pourrait mener à la révolte. C’est parce que le capitalisme exploite sans fin le travail et que l’État est son chien de garde, qu’il faudra nous débarrasser et des patrons et de l’État pour obtenir enfin une véritable égalité économique et sociale.

Philippe
groupe Brassens (région berruyère)