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À la petite semaine

Les Morts qui comptent

Le jeudi 19 février 1998.

Parce qu’elle était photogénique, parce qu’elle traînait derrière elle une histoire sordide à souhait tranchant avec la pureté angélique supposée de sa conversion à la Bible, ce mauvais roman au nom duquel des millions d’individus furent pieusement massacrés au long des siècles, une condamnée à mort américaine, exécutée il y a peu, a eu droit aux honneurs d’une information mondiale redevenue aussitôt totalement indifférente au problème de la peine de mort.

Parce qu’il était préfet, un citoyen français assassiné en Corse restait plus que jamais, à l’heure de sa mort, un individu au-dessus des autres. Le chef du gouvernement, Lionel Jospin, le rappelait clairement : l’aspect particulièrement abject de son assassinat résidait avant tout dans le choix de la cible, un représentant de l’État. En clair, vous ou moi, c’eût été moins odieux… Depuis l’administration de la piqûre ayant fait passer le plus légalement du monde Carla Faye Tucker de vie à trépas, un autre condamné à mort dont chacun ignore jusqu’au nom a été exécuté dans la même prison du Texas, et on sait que des dizaines d’autres connaîtront un sort identique tout au long de l’année. Pour être moins photogéniques, pour n’être pas vraiment assurés, peut-être, de rencontrer Jésus-Christ au bout de la seringue justicière, ils demeureront dans cet oubli où ils ont déjà sombré, et la peine de mort attendra pour faire à nouveau parler d’elle que se glisse derrière les barreaux une nouvelle prisonnière médiatique au profil d’héroïne de téléfilm bien-pensant.

Quant aux laissés-pour-compte, accidentés du travail et autres victimes anonymes expédiées chaque année au cimetière par un système marchand impitoyable dont le préfet défunt était un digne serviteur, qu’ils pourrissent sans un mot chaleureux d’un homme de gauche, donc de cœur, c’est le destin.

Même dans la mort la hiérarchie a ses lois.

Floréal