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Biographies d’anarchistes ibériques

Humains et idées sans patrie

Le jeudi 3 novembre 1994.

Un des sentiments qui m’a le plus marqué, lorsque j’ai pris contact, pour la première fois, avec les idées anarchistes, c’était celui d’universalité. J’étais heureux de voir qu’un humain équivalait à un autre humain, indépendamment de sa couleur, de son sexe, de sa formation (manuelle ou intellectuelle), de son pays d’origine. Citoyens du monde, les libertaires m’ont impressionné par leur solidarité qui dépassait les frontières conventionnelles. Dans cette optique, je suis entré en contact avec Sebastiao de Almeida, né en 1908, dans la région de Barreiro et mort, au Portugal, dans la ville d’Almada en 1993.

Très jeune, il rejoignit la lutte des classes, lut la presse anarcho-syndicaliste qui existait alors au Portugal, jusqu’en 1926. Il reçut la nouvelle de la Révolution russe, en février 1917, avec enthousiasme. Plus tard, il apprit la nouvelle du coup d’Etat de Lénine, en octobre, et suivit, les années suivantes, les débats concernant l’adhésion ou non de la CGT (Confederaçao Geral do Trabalho) à la IIIe Internationale (ayant son siège à Moscou).

Il participa aux grèves, congrès, fut arrêté une fois, mais réussit à n’être jamais déporté dans les îles, comme cela arriva à d’autres anarcho-syndicalistes.
Il lut beaucoup les journaux acrates et resta lié au groupe qui participa au congrès ouvrier d’Evora (avec la présence de Portugais et d’Espagnols) en 1923, où, pour la première fois, apparut une proposition concrète pour associer les deux mouvements (du Portugal et d’Espagne). Manuel Joaquim de Sousa présenta un projet pour la formation de la Fédération anarchiste ibérique (FAI), et il eut, pour cela, le soutien du militant hispano-brésilien Manuel Peres Fernandes, alors exilé à Lisbonne.

Pendant les quarante-huit années de la dictature de Salazar, au Portugal, Sebastiao de Almeida aida à faire le journal A Batalha clandestinement, à le diffuser, avec des extraits en langue espagnole, italienne et française : à aucun moment, je n’ai perçu quelque trace ou attitude qui fasse penser à du patriotisme (une maladie qui croît et affecte également beaucoup d’anarchistes). Durant la Révolution espagnole, il participa, avec d’autres, à saboter l’aide du régime portugais aux troupes de Franco.

Avec la libération du Portugal des griffes du fascisme, Sebastiao de Almeida avec Francisco Quintal, Jorge Quaresma, José Correia Pires, parmi d’autres anarchistes, commencèrent à publier le journal Voz Anarquista, dans la ville d’Almada (au même moment était publié A Batalha, à Lisbonne). Des textes et informations de la presse libertaire internationale étaient publiés dans chaque numéro. Pour ces militants, la philosophie anarchiste n’avait pas de frontières, elle était universelle. Quelle que soit la langue, dans laquelle l’anarchisme s’exprimait, il ne perdait pas son identité.

Au Brésil, j’ai fait la connaissance de José Augusto, né le 5 mai 1903, à Huesca (Espagne). Encore adolescent, il partit travailler à Barcelone et rejoignit la CNT, puis, alors que s’approchait la date du service militaire, il s’enfuit en France. Là, il se regroupa avec les autres réfugiés ; eut l’opportunité de lire de nombreux livres anarchistes, fit partie du groupe Spartacus et assista à des conférences de Sébastien Faure, Charles-Auguste Bontemps, Han Ryner, E. Armand, André Colomer, Pedro Orobon Fernandez et participa au groupe qui publiait la revue Procréation consciente.

En 1934, il retourna en Espagne clandestinement et fut fait prisonnier, alors qu’il mettait sous enveloppe la brochure Pages pour l’histoire, conjointement avec Ildefonso Gonzalez et Valeriano Luis Simon. En prison, il fit la connaissance de Liberto Calejas, directeur de Solidaridad Obrera.

Après avoir participé à la Révolution espagnole de 1936 à 1939, il dut se réfugier en France avec des centaines de milliers de révolutionnaires et de gens qui fuyaient le garrot.

En 1951, il partit pour le Brésil, s’installant à Porto Alegre, Rio Grande do Sul. Il milita avec les Espagnols exilés : Juan Puig Elias, José Pojol et l’hispano-brésilien Rafael Fernandes, aidant à la publication de livres, de journaux et participa à des congrès, où je l’ai rencontré.

En plus de leurs activités de soutien au mouvement brésilien, ils lancèrent le journal O Protesto, en pleine distature (1964-1985), et José Augusto fonda, avec d’autres, l’Editorial Proa. À part certains militants espagnols et français, tous les autres militants présents rejoignirent le mouvement anarchiste brésilien.
Je me souviens très bien, également, d’anarchistes comme Marcos Alcon, Severino Campos, B. Cano Ruiz et d’autres nés en Espagne, puis exilés au Mexique. Campio Carpio, Fernando Quesada, Luiz Danussi, réfugiés en Argentine ; Luis Aldao, Romero, en Uruguay ; Castro Moscu, à Cuba (avant l’arrivée de Castro) ; Victor Garcia, au Venezuela ; José Peirats et Federica Montseny exilés en France, et qui ouvrirent toujours leur presse aux nouvelles et articles envoyés du Brésil. Beaucoup d’autres, que nous ne citons pas ici, et qui, sans perdre leurs racines, ne furent pas atteints par le virus nationaliste. Pour eux, un anarchiste était un compagnon, d’où qu’il soit, quelles que soient sa langue, sa culture, sa profession…

Aussi, je ne comprends pas et je n’accepte pas les anarchistes patriotes.

Edgar Rodrigues
(Brésil)