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Lucien Tronchet est mort

juillet 1982.

Lucien Tronchet est mort le 24 février dernier. Militant anarcho-syndicaliste depuis 1920, il a participé à toutes les batailles sociales en Suisse.

En 1902, il nait à Genève en pleine grève des ouvriers du Bâtiment pour la semaine de 60 heures. Cette action fut la première grève générale de Suisse romande.

C’est dans ce contexte qu’il vécut une enfance très pauvre à Carrouge, un des villes les plus déshéritées des environs de Genève. Au sortir de la Première Guerre mondiale, après avoir exercé quelques petits métiers, il se fera muter à Granges chez un boulanger-pâtissier pour avoir commis quelques petits larcins, et le 14 novembre 1918 il assiste à la fusillade des grévistes de Granges. Ces trois morts, ils ne les oubliera pas et ils pèseront lourd sur sa vie de militant anarcho-syndicaliste.

Après avoir terminé son apprentissage de boulanger et ne trouvant pas de travail, il sera embauché comme maçon à Genève chez des ouvriers du bâtiment animateurs de la grande grève victorieuse de 1918. Il rejoindra des anarchistes investis dans le combat syndical. Entre les deux guerres, ce sont les années difficiles du mouvement ouvrier où les syndicats devront repartir de zéro. Lucien Tronchet s’y emploiera et s’inscrira dans un climat social de plus en plus agité. Le 1e juillet 1922, c’est la naissance de la Fédération des ouvriers du bois et du bâtiment. La FOBB s’affiliera à l’Union syndicale suisse. Lucien Tronchet y adhère en 1926 et va y préparer la grève des maçons deux ans plus tard. Parallèlement, il aura à lutter et à défendre l’indépendance syndicale vis-à-vis des « moscoutaires », ces communistes attachés à éliminer toute opposition à la politique des « 21 conditions » de la IIe Internationale. Ce souci d’indépendance restera toujours un des fils conducteurs de l’action de Tronchet.

Dans les années 30, Tronchet deviendra un des responsables de la LAB (Ligue d’action du bâtiment). Cette organisation d’action directe avait été créée à cause de la résistance patronale à appliquer les conventions collectives. Les irrégularités étaient nombreuses et portaient surtout sur le non-respect des horaires de travail. La LAB intervenait pour fermer le chantier et stopper toute activité. À chaque fois, la presse bourgeoise hurlait au scandale contre les syndicats ouvriers. Tout de suite, la FOBB lança deux mots d’ordre : « Tout ouvrier acceptant de travailler à des conditions inférieures à celles du contrat collectif se rend coupable de traitrise » et « Tout travail exécuté en dehors des règles du contrat sera démoli immédiatement ou plus tard ». Dans ces conditions d’activité syndicale intense, la pression policière s’accentuait contre la Ligue d’action. Après un incident minime, quatorze militants passent en procès. Ce procès sera si houleux et la solidarité si forte envers les inculpés que tout le monde, y cmpris Tronchet, sera acquitté. Ce procès sera le premier d’une longue série.

Dans une Europe où la montée du fascisme crée de nouvelles tensions, les tentatives ouvrières pour endiguer ce totalitarisme sont nombreuses et répétées. Ainsi, le sir du 9 novembre 1932, un pseudo-tribunal fasciste avait décider de juger des leaders socialistes au cours d’une réunion publique. Les manifestations de protestation étaient importantes, mais ne menaçaient en aucune façon le corps d’armée qui entourait la salle. Pourtant, l’armée tira. Il y eut treize morts et soixante-cinq blessés. Lucien Tronchet sera, bien sur, parmi ceux qui feront partie de la rafle policière qui suivit. Il sera acquitté une nouvelle fois au vu des preuves insuffisantes, alors que d’autres ouvriers seront condamnés à la prison ferme. Une fois de plus, aucune inculpation militaire ou fasciste n’avait eu lieu. Le véritable terrorisme social était resté impuni.

Des procès, Lucien Tronchet en connaitra d’autres. Ainsi, en 1935, commence pour la FOBB une intense campagne d’agitation pour des logements occupés par les ouvriers qui ne soient pas des taudis. De grandes affiches sont placardées en grand nombre. Tracts, pamphlet foisonnent. Bientôt, l’opinion publique commence à réagir et à s’émouvoir. La destruction des taudis est envisagée rapidement et les démolisseurs entrent en action dans la nuit du 4 décembre 1935. Trente syndicalistes commencent à défoncer les toitures et les fenêtres ! Au matin, les autorités genevoises cèdent devant la détermination de ces anarcho-syndicalistes se battant contre les taudis et la tuberculose qui y sévit. À l’issue de cette action, seul Tronchet sera arrêté et passera en jugement où il sera condamné à un mois de prison ferme et à une forte amende.

Dans le même état d’esprit, en 19778, Lucien Tronchet sera appelé à soutenir l’action des squatters dans le quartier des Grottes à Genève. Gageons qu’il l’aurait fait encore lors de l’avacuation des squatters de Genève par la police en mai dernier (voir l’article ci-dessous) si la mort ne l’avait interrompu.

En juillet 1936, il prendra des initiatives concrètes de solidarité avec les compagnons de la CNT-FAI. Diffusion de l’information en provenance de la CNT dans Le Réveil anarchiste — Il Rivesglio, voyages en Espagne avec Bertoni, envis d’armes, etc. Comme d’autres anarchistes à l’étranger, il apportera ainsi son aide aux anarchistes espagnols dans la construction d’une société libertaire.

Anarchiste, il l’était et il le restera en 1940 quand il recevra sa feuille de route. Ce sera sa deuxième insoumission après avoir refusé de rejoindre l’armée en 1920. En mars 1940, il passe devant le tribunal militaire et demandera à son ami Bertoni de plaider pour lui. Ce sera l’occasion de réaffirmer que la défense d’un pays n’est que la sauvegarde d’un certain état social dont les bénéficiaires sont les classes dirigeantes. Le tribunal infligera finalement huit mois d’emprisonnement et cinq ans de privation de droits civiques. Et Tronchet retourne en prison !

La guerre n’arrête pourtant pas l’activité syndicale, les grèves sauvages se multiplient un peu partout en Suisse. Elles débouchent, dans l’immédiat après-guerre, sur la revendication des jours fériés payés (« Jours fériés, jours de misère »). Malgré la pression syndicale, les patrons tiendront bon et à Pâques, en 1946, c’est la grève organisée par Tronchet qui se déclenche. Cette grève mémorable se terminera par une bagarre et la prise d’assaut de l’hôtel de ville de Genève.

Les patrons cèdent et accordent les jours fériés, sauf le 1er Mai !

Malgré tout, Tronchet, secrétaire syndical, pouvait se féliciter, à juste titre, d’employer des méthodes de luttes radicales et anarcho-syndicalistes.

Cette lutte sur le terrain économique n’a pas empêché Lucien Tronchet de s’engager dans d’autres combats : libéralisation de l’avortement, antimilitarisme, création de coopératives de production et de logement, etc.

En 1968, Tronchet parvient à l’âge de la retraite et peut se consacrer entièrement à ce mois de mai où la mémoire ouvrière refait surface. 68, c’est aussi la renaissance du Réveil anarchiste.

Tronchet va y placer ses espoirs et songe au redémarrage du mouvement anarchiste en Suisse. Ce sera l’un de ses derniers combats. Cette lutte pour la dignité ouvrière était et demeurait pour lui le combat universel pour la dingité de l’homme.