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École émancipée les enjeux de la crise

Le jeudi 10 avril 2003.

Le Monde libertaire a dénoncé à plusieurs
reprises le hold-up scandaleux dont l’École
émancipée est la victime. Cet article se propose
de mettre en évidence quelques aspects de
cette crise qui concernent en fait l’ensemble
du mouvement syndical révolutionnaire d’aujourd’hui.

Tout d’abord, on hésiterait presque à le
souligner encore, au travers de cette crise s’affrontent deux conceptions antagonistes du
syndicalisme : le syndicat outil de lutte autonome, à la stratégie propre, contre le syndicat
relais dans le mouvement ouvrier de décisions
politiques issues d’un parti avant-gardiste. En
gros, la charte d’Amiens contre la vision léniniste classique. Les anarchistes, qui prônent là
comme toujours la prise en charge directe de
leurs intérêts par les personnes concernées,
sont historiquement proches de la charte
d’Amiens (ce qui ne les empêche pas de faire
de la propagande anarchiste dans leurs syndicats). De même, il est cohérent pour un parti
gauchiste, même surfant sur une vague
pseudo-libertaire, de pratiquer l’entrisme et
l’instrumentalisation, que ce soit dans le
monde syndical ou, par exemple, dans les
forums anti-G8. « L’École émancipée est notre
instrument dans la FSU
 », affirme benoîtement un texte interne de la LCR.

Au-delà d’une appropriation infondée, on
ne saurait mieux exprimer une conception de
l’outil syndical qui sera toujours celle des léninistes, et toujours combattue par les anarchistes.

Pour autant, ces deux conceptions du syndicalisme ont cohabité plus ou moins facilement, mais sans clash irréparable, au sein de
l’École émancipée pendant des décennies.
Mais l’évolution récente du paysage politique
et syndical a créé des situations nouvelles rendant ce « compagnonnage » clairement
impossible à prolonger.

Le processus de scission s’est déclenché
sur la question de la participation ou non aux
exécutifs nationaux dans la FSU. Plans de carrière personnels mis à part, participer à ces
exécutifs a un sens politique clair dans un
contexte d’affaiblissement du Parti communiste, de perte de crédibilité de feue la
« gauche plurielle », et de la montée parallèle
de formes originales de militantisme dont
Attac est la plus connue : il y a un champ politique à investir à gauche du PS, et la LCR y voit
une opportunité historique. La FSU, à la direction communiste en proie au doute, est un très
bon terrain d’essai pour expérimenter une
« collaboration plus ou moins critique, mais
constructive
 ».

Celles et ceux pour qui le syndicat n’a pas
vocation à être utilisé à des fins politiciennes
se sont vigoureusement opposé(e)s à cette tactique, et la scission de l’ÉÉ s’est ensuivie. Mais
il y a autre chose : la FSU a hérité de la défunte
Fen (fédération quasi hégémonique dans l’enseignement jusqu’aux années 80) l’existence
officielle et organisée de tendances opposées,
qui ont fini par se réduire en gros à une tendance majoritaire (Unité et action) communisante, et une opposition interne, l’École
émancipée. Cet acquis historique avait un intérêt majeur : il permettait de concilier un militantisme de base efficace et l’affichage clair
d’une opposition à la ligne de la direction syndicale. Dans une certaine mesure, c’était aussi
un frein, au moins à l’échelon local ou départemental, à la dérive bureaucratique qui guette
les directions syndicales (ça aussi, l’histoire
nous l’a appris). À partir du moment où l’opposition devient un appendice de la direction
(jusqu’à ne plus s’opposer, et pour cause, au
rapport d’activité national), la normalisation,
l’homogénéisation, et pour tout dire la stérilisation de ce qui restait de vivant et de non
contrôlé dans la FSU est inévitable.

Un autre processus récent ayant attisé les
antagonismes au sein de l’ÉÉ, est la multiplication des boutiques syndicales (CGT, FO, Sud, CNT.) dans l’Éducation nationale.
Analyser les raisons qui ont poussé des militant(e)s syndicalistes et pédagogiques à
investir ces syndicats plutôt que la FSU serait
trop long ici (mais l’homogénéisation croissante de la FSU n’y est pas étrangère) ; toujours est-il que le phénomène a pris
suffisamment d’ampleur pour ne pas pouvoir laisser l’École émancipée indifférente.
Le problème est donc de savoir si l’ÉÉ se cantonne à un rôle de tendance strictement
interne à la FSU, où si elle s’ouvre aux camarades ayant fait d’autres choix de fédération,
devenant ainsi un pôle de convergence, de
débats, de coordination pour les camarades
se retrouvant dans les principes du syndicalisme émancipateur, quelle que soit par
ailleurs leur étiquette syndicale.

Pour trancher ce dilemme, là encore les
deux conceptions antagonistes s’affrontent.
Soit une direction politique (en l’occurrence
la LCR) fait le choix du syndicat à investir (la
FSU, pour les raisons explicitées ci-dessus,
quitte au passage à lâcher Sud dans le secteur
de l’Éducation), et dans ce cadre il est essentiel que son « instrument » (ainsi qu’ils
considèrent l’École émancipée, cf. plus haut)
se plie à ce choix. Soit au contraire, on privilégie l’autonomie du mouvement social, et
celle des camarades qui choisissent, ne
serait-ce qu’en fonction de leur contexte
local, tel ou tel syndicat ; et dans ce cas,
l’École émancipée devient un outil aussi
intéressant qu’original permettant la
confrontation et la coordination des syndicalistes de sensibilité émancipatrice au-delà
des structures syndicales elles-mêmes (nos
camarades de la Lettre des militants syndicalistes
libertaires ont une approche similaire dans un
cadre limité aux libertaires, mais pas au secteur éducatif). Les deux choix sont possibles, mais clairement incompatibles.

On le voit, il s’agit d’un peu plus qu’une querelle ou même un complot. En fait, s’affrontent dans l’École émancipée deux conceptions du syndicalisme qui, si elles ont trouvé un temps leur intérêt mutuel à partager un sigle, devenaient fatalement irréconciliables devant la nouvelle donne politique et syndicale. La Fédération anarchiste, vigoureusement attachée à l’autonomie du mouvement social, et qui a toujours respecté en son sein une stricte liberté d’investissement syndical, ne peut évidemment rester neutre.

Au-delà de la nécessaire dénonciation de méthodes scandaleuses, voilà le sens de notre soutien à l’École émancipée et à nos camarades obligé(e)s d’ajouter au combat urgent contre le démantèlement du service public de l’Éducation une lutte épuisante contre les liquidateurs de l’ÉÉ au profit d’une ligne partisane.

François Coquet