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Contre le silence

Pas de pitié pour les égorgeurs

mai 1961.

Benoist Rey est rentré d’Algérie en octobre 1960. Les éditions de Minuit publient aujourd’hui dans leur collection « Documents » son journal de marche sous le titre Les Égorgeurs [1]. Pas de littérature. Depuis septembre 1959, Benoist Rey raconte comment, venant d’Allemagne, il s’est retrouvé avec ses camarades en commando de chasse dans le Nord-Constantinois. Témoin lucide, il n’a pas pu fermer les yeux sur la systématisation des tortures, sur l’inconduite de certains militaires et leurs crimes. Mais il a su aussi rendre hommage, par exemple, aux médecins dont le « dévouement est sans limites. Leur travail servira à nous garder quelques amis, là-bas, après la guerre » [2].

Hélas, sans explication, son livre a été saisi au moment de la mise en vente. Fait particulièrement grave quand il s’agit du témoignage d’un « ancien ». Car nous avons payé le droit de parler.

Depuis le temps des « rappelés » nous avions pu lire :

  • Une Demi-campagne par Olivier Todd (Julliard, 1957)
  • Jours kabyles par G. M. Mattéi (Les Temps modernes, juillet-aout 1957)
  • Un an dans les Aurès par Jacques Pucheu (Les Temps modernes, septembre 1957)
  • Le Gâchis par Jacques Tissier (Éditeurs français réunis, 1960)
  • L’Algérie à vingt ans par Alain Manévy (Grasset, 1960)
  • Officiers en Algérie par Darboise, Heynaud et Martel (Maspéro, 1960)
  • L’Algérie mal enchaînée par Pierre Boudot (Gallimard, 1961).

À notre connaissance, aucun de ces livres ou revues n’a été saisi. Pas plus qu’on ne saisira la Nouvelle revue française du 1er avril pour le témoignage de Roger Quesnoy intitulé « L’Observateur » (« La providence m’avait confié le poste d’un observateur planqué ».)

Ainsi pour la première fois on saisirait le témoignage d’un « ancien ». Alors ? Reprocherait-on à Benoist Rey d’avoir menti ou romancé ?

Pour ma part, je suis persuadé que Benoist Rey n’a pas menti, qu’il n’a rien inventé. Je suis prêt à témoigner de faits similaires.

Anciens d’Algérie, est-ce à dire que nous devons nous taire ? Nos copains, nos frères sont-ils morts pour rien ?

Jean-Louis Gérard (en Algérie de novembre 1957 à février 1960)


[1rééd. en 1999 aux éditions du Monde libertaire

[2Page 90