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Lille

Mauroy expulse les sans-papiers

Le jeudi 2 décembre 1999.

Vendredi 19 novembre 1999, Pierre Mauroy, maire socialiste de Lille et président du Conseil d’administration du Centre Hospitalier Régional, a ordonné l’expulsion du Comité des sans-papiers 59 hors du local que lui-même leur avait attribué depuis maintenant plus de deux ans dans le bâtiment Denis Cordonnier de l’hôpital. Cette décision inhumaine et barbare (l’expulsion se fit dans le froid et la grêle à 6 heures du matin, sans que les sans-papiers puissent même prendre de quoi se vêtir suffisamment, alors que 36 d’entre eux avaient entamé depuis 2 jours une grève de la faim), certains ne l’attendaient sans doute pas de la part d’une municipalité qui, en d’autres temps (pré-électoraux), avait dit aux sans-papiers : « Vous êtes ici chez vous ! »

Mauroy relaie la chasse aux étrangers

En les privant de leur local et en les jetant à la rue, Mauroy espère bien forcer les sans-papiers à rentrer dans la clandestinité. Il s’agit pour lui d’en finir définitivement avec une lutte qui n’a fait que l’importuner depuis 3 ans. Mais pourquoi maintenant ? En fait, Mauroy ne fait qu’appliquer les ordres de Jean-Pierre Chevènement ­ le miraculé de la République ­ qui a décidé de relancer la chasse aux étrangers dans une circulaire envoyée le 11 octobre à l’ensemble des préfets. En ce sens, ce qui se passe à Lille est aussi un test pour Chevènement et pour l’ensemble des collectifs de sans-papiers.

Devant cette situation, les sans-papiers n’avaient guère le choix. En apprenant, le 17 novembre, qu’ils étaient expulsables à tout moment de leur local, ceux-ci se sont immédiatement mis en grève de la faim. 36 d’entre eux sont maintenant couchés dans les locaux de l’UL-CGT, à la Bourse du Travail, où le Comité a trouvé refuge depuis le jour de l’expulsion. D’autre part, l’assemblée générale du CSP-59 décida dès le lendemain de lancer une véritable « guérilla pacifique », selon son propre mot, alliant manifestations quotidiennes à des occupations de lieux publics autour de deux revendications essentielles : la régularisation de toutes et tous ainsi que l’attribution d’un nouveau local de lutte collective par la municipalité. Mais le maire allait trouver à qui parler et voir le calme de Lille troublé par des manifestations imprévisibles sans aucune demande d’autorisation auprès de la préfecture. Et ces manifestations prirent une ampleur inattendue et très hostile au maire de Lille.

Les curés aussi expulsent

Dimanche 21 novembre, dans le plus grand calme, le comité a investi l’église qui se trouve sur la place du marché de Wazemmes à Lille. Mauroy et Chevènement vont alors trouver un allié en la personne de l’évêque de Lille. Celui-ci a ordonné l’expulsion des sans-papiers de son église au bout de 5 heures d’occupation. Cette expulsion se fit avec une violence extrême de la part de la police (6 blessés à l’hôpital, dont plusieurs grévistes de la faim, ainsi qu’une camarade d’A.C. ! frappée à coup de bottes dans le dos). Les curés peuvent continuer à nous bassiner avec leur charité chrétienne. Ce dimanche, leur charité fut du côté du pouvoir et de la matraque.

Cette expulsion, sur une place publique qui constitue en quelque sorte le cœur politique et social de la ville, déclencha une émotion énorme, et les manifestations quotidiennes grossirent encore, jusqu’à atteindre plus de 800 personnes le mercredi 24.

Malgré l’encadrement des manifestations par la police, les sans-papiers réussirent tout de même à pénétrer par surprise dans la fac de Droit au cours de la manifestation du 25 et de n’en ressortir qu’après avoir obtenu du doyen de la faculté une message de soutien. Le 26, c’est un hôtel Ibis qui reçut la visite des sans-papiers. Pendant une semaine, la mairie a tentée de rester sourde. Mais elle finit par se retrouver elle-même complètement isolée : l’évêque expulseur lui-même, en bon pratiquant de la dialectique chrétienne, apporta son aide au comité dans sa recherche d’un nouveau local, en proposant de rencontrer la mairie. Même la préfecture s’est soudain ouverte aux négociations, maniant carotte (régularisations au compte-goutte) et bâton (menace d’arrestations en cas d’occupation). Elle offrit elle aussi de participer à une rencontre avec la mairie pour tenter de trouver une solution au problème du local. La CGT et la CFDT exigent que le maire trouve une solution avant le 1er décembre, date où elles désirent retrouver un fonctionnement normal de la bourse du travail.

La mairie a commencé à reculer : elle proposait le jeudi 25 de tenir le mardi 30 novembre une rencontre avec le comité des sans-papiers, les associations et syndicats qui le soutiennent, la préfecture, l’ensemble des représentants des cultes, mais aussi le Conseil régional et le Conseil général. La balle est maintenant dans son camp. Quant à la préfecture, il lui faut maintenant compter avec une grève de la faim massive, déterminée et largement soutenue.

Mauroy comptait casser la lutte des sans-papiers. Il a pour le moment réussi exactement le contraire. Un message est en train de passer à l’adresse du gouvernement : vous pensiez le mouvement des sans-papiers moribond et isolé ; mais une étincelle peut suffire à rallumer la flamme !

Bertrand Dekoninck. — groupe Métropole lilloise de la FA


(1) Le CSP-59, le MRAP et la LDH ne pouvaient évidemment être représentés à l’audience. On ne s’étonne donc pas lorsque, dans les attendus du procès, le tribunal prétend que le MRAP et la LDH ne souhaitaient pas reconduire la convention. Ce que ces associations démentent vigoureusement. Elles préparent d’ailleurs un recours en justice contre cette parodie de procès.
(2) Lire nos numéros précédents.
(3) Le Comité des sans-papiers de Lille est un des plus actifs depuis sa création en 1996, totalisant plus de 1800 régularisations, de nombreuses occupations de lieux publics, l’obtention à l’arraché d’un local de lutte à la mairie socialiste et maintenant 8 grèves de la faim.
(4) Une telle mobilisation autour des sans-papiers ne s’était plus vue à Lille depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir.
(5) Ces hôtels font partie du groupe ACCOR, dont les bâtiments servent de zones d’attente pour étrangers sans papiers sur les aéroports.
(6) Un camarade du groupe était notamment présent lors de l’expulsion du local et la nuit qui l’a précédée.