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Manifeste anarcho-féministe

Le jeudi 17 mars 1983.

Voici le résumé du programme politico-féministe adopté à l’unanimité par le troisième congrès de I’ANORG, la Fédération anarchiste norvégienne, du 1er au 7 juin 1982.
(Les « anarcho-féministes » de l’ANORG)



Partout dans le monde, la plupart des femmes n’ont pas le moindre droit de décision au sujet des questions importantes concernant leurs vies.

Les femmes subissent deux types d’oppression : premièrement, l’oppression sociale générale, qui frappe spécialement les femmes ; et deuxièmement, l’oppression sexiste et la discrimination due à leur sexe.

ll y a cinq formes principales d’oppression :
• l’oppression idéologique, le « lavage de cerveau », par certaines traditions culturelles, par la religion, la publicité, la propagande ; la manipulation par certains concepts et le fait de jouer sur les susceptibilités et les sentiments féminins ; des attitudes patriarcales et autoritaires largement répandues et une mentalité capitaliste dans tous les domaines ;
• l’oppression étatique ; les formes d’organisation hiérarchiques, où les ordres viennent d’en haut, dans la plupart des relations entre personnes, et aussi la soi-disant « vie privée » ;
• l’exploitation et la répression économique, en tant que consommatrices comme en tant que travailleuses, à la maison ou pour les « travaux féminins » sous-payés ;
• la violence, sous les auspices de la société comme dans la sphère privée — indirectement s’il y a coercition, faute d’alternatives — et la violence physique directe ;
• le manque d’organisation, le despotisme dû à l’absence de structure, qui empêche la responsabilité et engendre la faiblesse et l’inactivité.

Ces facteurs marchent ensemble, chacun contribuant à renforcer l’autre, dans un cercle vicieux. Il n’y a pas de panacée pour rompre ce cercle, mais il n’est pas irrémédiable.

L’anarcho-féminisme est une question de conscience ; la conscience qui supprime la tutelle dans le travail. Ainsi, les principes d’une société émancipatrice sont parfaitement clairs pour nous.

L’anarcho-féminisme signifie l’indépendance et la liberté des femmes dans les mêmes termes et sur un pied d’égalité avec les hommes ; une organisation sociale et une vie sociale où personne n’est supérieur ou inférieur à un autre, et où tout le monde a le même rang, les femmes comme les hommes. Ceci est valable à tous les niveaux de la vie sociale, et aussi dans la sphère privée.

L’anarcho-féminisme implique que les femmes décident elles-mêmes et s’occupent de leurs propres affaires, individuellement pour les questions personnelles, et les unes avec les autres pour les questions concernant plusieurs femmes. Pour les questions qui concernent essentiellement et concrètement les deux sexes, les femmes et les hommes doivent décider sur un pied d’égalité.

Les femmes doivent pouvoir disposer de leur propre corps et toutes les questions concernant la contraception ou la naissance des enfants doivent être résolues par les femmes elles-mêmes.

Il faut combattre, à la fois individuellement et collectivement, la domination masculine, les attitudes de propriété et de pouvoir envers les femmes, les lois répressives, et lutter pour l’autonomie et l’indépendance économique et sociale des femmes.

Des centres d’assistance, des centres de soins, des groupes d’étude et de discussion, des activités sur la culture féminine, etc. doivent être créés et doivent fonctionner sous la propre direction des femmes.

La famille traditionnelle à noyau patriarcal doit être remplacée par des associations libres entre hommes et femmes, basées sur l’égalité du pouvoir de décision des deux parties et sur le respect de l’autonomie et de l’intégrité des individus.

Les stéréotypes sexistes dans l’éducation, les médias et les lieux de travail doivent être abolis. Un partage total des charges par les deux sexes dans les travaux ordinaires, la vie domestique et l’éducation est un moyen approprié.

La structure de la vie du travail doit être radicalement changée, avec plus de travail à temps partiel et une coopération organisée de manière unifiée, à la maison comme dans la société. La différence entre le travail des femmes et celui des hommes doit être abolie. Prendre soin des enfants et les élever doit concerner les hommes autant que les femmes.

Ce n’est pas avec un pouvoir féminin ou des premiers ministres féminins que la plupart des femmes pourront arriver à leurs fins ou abolir l’oppression. Les féministes marxistes ou bourgeoises mènent la lutte pour la libération des femmes sur une voie de garage. Pour la plupart des femmes, il ne peut y avoir de féminisme sans anarchisme. En d’autres termes, l’anarcho-féminisme ne signifie pas un pouvoir féminin ou des premiers ministres féminins, mais signifie une organisation sans pouvoir et sans premiers ministres.

La double oppression des femmes exige un double combat et une organisation double : d’une part dans des fédérations féministes, d’autre part dans des organisations anarchistes. Les anarcho-féministes forment le pivot de cette double organisation.

Un anarchiste sérieux doit aussi être féministe, sinon il s’agit de demi-anarchisme patriarcal et non de véritable anarchisme. La tâche des anarcho-féministes consiste à garantir la présence du féminisme dans l’anarchisme. Il n’y aura pas d’anarchisme sans féminisme.

Un point essentiel de l’anarcho-féminisme est que le changement doit commencer aujourd’hui, et non pas demain ou « après la révolution ». La révolution doit être permanente. Nous devons commencer dès aujourd’hui, en prenant conscience de l’oppression dans la vie quotidienne, et en faisant quelque chose pour briser le modèle actuel, ici et maintenant.

Nous devons agir de manière autonome, sans déléguer à aucun leader le droit de décider ce que nous voulons ou ce que nous devons faire : nous devons prendre nos décisions nous-mêmes pour les questions personnelles, en commun avec d’autres femmes pour les questions purement féminines, et en commun avec les compagnons masculins pour les questions communes.