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L’AIT et les luttes syndicales

Le jeudi 20 mars 1986.

Au moment où le syndicalisme mobile de la centrale d’Edmond Maire se ridiculise, où l’activité syndicale de la CGT est plus que jamais contingentée aux humeurs du Parti communiste français, il est bon de rappeler aux consciences les revendications de l’Association inter-nationale des travailleurs (AIT) ; revendications exprimées notamment lors de son 3e congrès.



Le congrès est d’avis que le chemin vers le socialisme n’est pas déterminé par une ascension continuelle de la capacité de production, mais, en première ligne, mais d’abord, par une claire connaissance de l’état social et la ferme volonté d’activité socialiste constructive, trouvant leur expression dans les aspirations à la liberté et à la justice sociale. Le socialisme n’est pas seulement un problème économique, mais aussi un problème psychologique et culturel et, en ce sens, aspire à lier spirituellement les individus à son œuvre, en ce qu’il s’efforce de présenter le travail d’une façon complexe et attractive, — une aspiration qui ne sera jamais conciliable avec la rationalisation moderne. Non pas la centralisation des industries d’après les principes prétendu spéciaux de l’économie nationale des différents peuples, mais, décentralisation de l’ensemble de notre système de production, comme il l’est de plus en plus exigé par le développement de la technique moderne ; non pas une spécialisation de toutes les branches de productions poussées au paroxysme, mais unité du travail, union de l’agriculture et de l’industrie et une éducation complexe des individus pour le développement de leurs facultés intellectuelles et manuelles. C’est dans cette voie que se dirige le socialisme.

Le Congrès est d’avis que le nouveau développement du capitalisme, qui trouve son expression dans la formation de trusts et cartels nationaux et internationaux gigantesques, rend de plus en plus inoffensives les vieilles méthodes de la classe ouvrière, et que ce nouveau développement ne peut être envisagé qu’avec la formation d’organisations économiques révolutionnaires internationales qui viennent tout d’abord en question pour la défense des revendications des travailleurs au sein du système actuel et aussi pour la réalisation et la réorganisation pratique de la société dans l’esprit du socialisme. Ce n’est qu’inspiré par l’esprit du socialisme international que le mouvement ouvrier, que les travailleurs seront à même de préparer leur libération économique, politique et sociale, et de la réaliser pratiquement.

Le Congrès est d’avis que le socialisme libertaire est l’unique moyen de protéger l’humanité contre la chute d’un nouveau servage industriel, et que ce grand but final doit être la base de toutes les luttes quotidiennes pratiques qui nous incombent par la misère de l’heure.

Le Congrès voit dans la diminution de la journée de travail un des moyens les plus importants pour enrayer le chômage en masse, rendu chronique par le nouveau système, et ce de façon que toute augmentation de la production corresponde à une diminution de la journée de travail.

Le Congrès est d’avis que ce but ne peut être atteint que si les organisations économiques des ouvriers se décident à reconnaître à chaque travailleur le droit à la vie, conséquemment l’exercice d’une activité productive, et ce, de façon que, dans chaque arrêt de l’économie au sein du système actuel, il ne reste pas une partie des travailleurs dans les usines, alors que l’autre est jetée à la rue, comme ce fut le cas jusqu’à présent, mais que, par une diminution du temps de travail appropriée, tous les ouvriers continuent d’être employés. Avec une telle méthode, l’organisation recevrait pour les travailleurs une toute autre importance en tant que classe, et leurs sentiments de solidarité seraient renforcés d’une. façon tout à fait insoupçonnée.

Le Congrès appelle tous les membres de l’AIT à mener la propagande de ces idées parmi les masses et de contribuer ainsi à la réalisation prochaine du socialisme libertaire, et de mettre la lutte pour la journée de six heures en tête de ses actions immédiates. […]

Résolutions sur l’attitude de l’AIT dans les luttes syndicales actuelles

Considérant que les puissances dominantes et le capitalisme accaparent toutes les conquêtes faites dans le domaine économique, technique et Scientifique, pour asseoir et développer plus fortement leur domination sur la classe opprimée ;

Que le capitalisme, par sa faculté d’adaptation, a réussi, à travers les grands troubles politiques qui suivirent la guerre mondiale ou les crises économiques qui furent les suites de l’inflation dans beaucoup de pays, ou encore par la rationalisation dans presque tous les pays, non seulement à s’affirmer, mais aussi à se consolider ;

Que le patronat défend ses positions, non seulement dans les limites de prétendues patries, mais tente aussi par des trusts et cartels internationaux, d’instituer l’exploitation du prolétariat et de lui donner en caractère fort et permanent ;

Que, en revanche, le mouvement ouvrier, sous la conduite des partis politiques et des organisations réformistes fidèles à l’État et pactisant avec lui, n’a aucunement su utiliser la situation favorable qui s’est offerte dans les différents pays durant ces dernières années pour la conquête du pouvoir économique, ou même seulement pour l’amélioration de la situation économique et politique de la classe ouvrière ;

Le Congrès tient pour absolument nécessaire que le mouvement ouvrier ne soit pas non plus si dogmatique, mais s’avance parallèlement au développement du progrès et mette ses méthodes de lutte en accord avec les exigences du moment, c’est-à-dire qu’il doit être souple et avoir des facultés, des capacités de transformation et d’adaptation où il ne faut pas oublier les aspirations de liberté et de dignité humaine pour le prolétariat, ni de prendre égard au fédéralisme et à l’autonomie de ses organisations, contribuant à la réaliser.

Le Congrès attire l’attention de tous, les pays sur la politique des réformistes et de L’aile étatiste du mouvement ouvrier, par lesquelles le prolétariat est détourné vers le prétendu État socialiste par la voie des lois sociales, politique aboutissant à cacher complètement les buts de l’émancipation totale de la classe ouvrière, à enchaîner d’une façon durable le prolétariat aux formes d’économie de profits de l’État capitaliste et les éloignant de plus en plus de le révolution sociale.

Cette législation de lois sociales ne se borne pas à un pays, mais s’étend de plus en plus à tous les pays et trouve sa confirmation et son renforcement dans l’activité du Bureau international du travail (BIT) de Genève. Les quelques améliorations préconisées par les décisions du BIT et leur confirmation par des mesures gouvernementales pour certaines catégories d’ouvriers ne sont pas comparables aux dommages à réparer qui furent causés moralement au sein du prolétariat et l’étouffement de l’esprit révolutionnaire, qui était l’héritage le plus précieux des révolutions passées et appartient aux richesses les plus sacrées de la classe opprimée.

Si louables que soient les aspirations d’obtenir un relèvement légal de la situation de la classe ouvrière dans tous les pays — comme par exemple l’instauration de l’unification de la durée de la journée de travail ou l’unification des salaires pour le prolétariat mondial —, aspirations approuvées et soutenues par l’AIT, on ne doit pas, d’autre part, manquer de faire remarquer que l’atteinte de ces buts par la voie de lois sociales nationales et internationales est la dernière à employer pour y parvenir, car cette législation ne peut être que le refuge d’un mouvement ouvrier affaibli ou spirituellement dévoyé, les puissances dominantes ne se soumettant qu’à l’expression de puissance obtenue par les actions de la classe ouvrière elle-même et non par des pétitions de chefs, comme cela fut clairement démontré par l’attitude du gouverne-ment anglais contre la ratification du traité de Washington sur la journée de huit heures au BIT. C’est pourquoi on doit appuyer sur le fait que les plus petites améliorations sanctionnées par le traité de Washington ou la formation du BIT ne sont dues qu’à une époque révolutionnaire, au cours de laquelle les puissances dominantes, par crainte d’actions révolutionnaires, accordèrent aux masses quelques concessions insignifiantes afin de les calmer et de diminuer leur force d’attaque.

Le troisième Congrès de l’AIT recommande donc à la classe ouvrière de se détourner de la voie d’entente avec les puissances capitalistes et étatistes, et, en accord avec cette méthode, d’œuvrer au rappel de leurs représentants de toutes les institutions étatistes ou législatives, comme les Comités de fixation des tarifs, les Commissions étatistes d’arbitrage, les Bureaux nationaux et internationaux du Travail.

Dans sa condamnation de la collaboration du mouvement ouvrier avec les classes dominantes, le Congrès ne veut pas manquer d’attirer l’attention sur les aspirations du mouvement syndical réformiste aboutissant à pénétrer aussi dans les trusts et cartels internationaux créés ces derniers temps, par l’envoi de ’délégués. En dehors de ce que le capitalisme international rejette à l’heure actuelle une telle prétention, celle-ci est à rejeter en tout cas du point de vue du mouvement ouvrier révolutionnaire, car elle n’est propre qu’à activer le fusionnement du mouvement ouvrier avec le capitalisme. Loin d’exercer de cette façon un contrôle efficace sur le fonctionnement de l’économie capitaliste, comme on a pu le constater avec les Conseils d’usines, une telle représentation serait le dernier coup pour l’idéal du mouvement ouvrier socialiste libertaire, en ce que cela lui enlèverait tous ses propres buts. La lutte contre les trusts et cartels internationaux ne peut être menée que par des voies révolutionnaires, par exemple des grèves et boycotts internationaux sur la plus grande échelle possible, des actions qui, comme le prouve par exemple la défaite des mineurs anglais, doivent être à l’avenir internationales, que ce soit par des déclarations de grèves internationales d’une industrie par tous les travail-leurs de cette industrie dans tous les pays ou par des actions de boycotts internationaux.

Le mouvement ouvrier révolutionnaire ne doit en aucun cas manquer, dans le domaine d’organisation, en rassemblant des chiffres et des dates s’étendant sur tous les domaines de la vie économique et la situation des travailleurs dans le processus de la production et de la consommation — tâche qui devrait être organisée dans chaque industrie par les Fédérations respectives d’industries —, de se préparer pour sa grande œuvre : la prise en mains de la production et de la consommation qui, après la prise de la terre et des fabriques et moyens de production, doivent être réalisés effectivement et con-sidérés comme les buts du mouvement ouvrier révolutionnaire.