Pauvre Monde libertaire, lui qui ne demandait qu’à pouvoir s’exprimer librement, voilà qu’en ce début d’année 1997 il va devoir se rendre par deux fois au Palais en la personne de son directeur de publication, André Devriendt.
Nous vous avions déjà entretenu des tracasseries judiciaires dont nous étions les victimes. Pour ceux d’entre vous qui auraient manqué les épisodes précédents, je vous dirai que Monsieur Le Pen, du Front national, et Monsieur Debré, fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, ont décidé de porter plainte contre l’hebdomadaire de la Fédération anarchiste.
Le premier se sentait menacé par un dessin humoristique ; le dernier considérant qu’un billet d’humeur paru dans nos colonnes cumulait les délits — en l’espèce : injure, diffamation et incitation au meurtre.
Décidément, à en croire ces sensibles créatures, notre lectorat est composé d’impulsifs suicidaires et de meurtriers en attente d’inspiration qui attendraient du comité de rédaction qu’il lui désigne les cibles de ses prochaines opérations… Je me demande s’il n’y aurait pas lieu de se sentir diffamé dans sa nature de lectrice ou de lecteur et de déposer plainte contre personnes.
Je n’en dirai pas plus sur ces tristes représentants de l’intolérance. D’une part, parce qu’il y n’y a guère de l’invective à l’insulte et que je ne désire pas dépasser la limite qui les sépare, ce dont je ne suis pas certain si je me laisse aller. D’autre part, ces gens sont trop méprisables pour que j’éreinte ma plume à en croquer le ridicule et le réactionnaire.
En bref, le 21 janvier prochain, nous devrons nous défendre contre les attaques
du ministre de l’Intérieur et, le 28 janvier, rassurer le blond dirigeant des troupes de la réaction et du racisme pro-clamé sur les risques que peuvent lui faire encourir les dessins humoristiques paraissant dans nos pages.
Dans un cas comme dans l’autre, nous risquons de voir le Monde libertaire disparaître… Pas interdit, bien sûr ! Ces messieurs de robe ne sont pas assez idiots pour croire qu’il leur suffirait de nous ordonner de ne plus paraître pour que nous accédions à leurs désirs. Mais, ils pourraient nous mettre sur la paille… Je veux dire, plus que nous ne le sommes déjà, ce qui n’est pas peu dire, et que nous ne pourrions pas nous en remettre.
Même si je ne peux concevoir un univers dans lequel le Monde libertaire n’existerait plus sans sombrer dans la dépression nerveuse ou la forclusion psychotique, ce n’est après tout qu’un des outils dont disposent les anarchistes, il n’en reste pas moins que mon esprit répugne à abandonner une œuvre utile et constructive. J’espère qu’il en va de même pour vous qui nous lisez. Si ce n’était pas le cas, je n’aurai plus qu’à briser ma plume car je n’ai pas pour vocation de rédiger en vain.
Pour l’instant, je ne sais pas quelle forme prendra notre défense. Jouerons-nous l’argutie judiciaire des plaideurs ? Embrumerons-nous le Palais de justice sous un nuage de boules puantes ? Initierons-nous enfin la révolution salvatrice qui renverra ces procéduriers dans un anonymat qu’ils n’auraient jamais du quitter ? Nous demanderons vous de manifester en masse pour nous soutenir ? Renverserons-nous quelques marmites pleines de sarcasmes sur les images de nos persécuteurs pour leur faire comprendre le ridicule de leurs menées ?
Tout est à faire et je ne me risquerai pas à préjuger ici de la suite que nous donnerons à ces affaires. Si quelque lumière nous venait, nous vous en tiendrons informés dans ces pages. En attendant, et souhaitant pouvoir continuer longtemps à le faire, nous vous invitons à lire ces huit pages hebdomadaires et — si vous le voulez bien — à y apporter votre contribution.
Pour le Comité de rédaction
Alain L’Huissier