I l est né le 25 novembre 1922 à Rozay-en-Brie (Seine-et-Marne). La notice du Maitron, rédigée par notre compagnon Hugues Lenoir, mentionne qu’il fut tout d’abord manoeuvre dans une râperie fin 1939, puis embauché comme technicien juridique en assurance vie aux Assurances Générales de France (1945‑1971). En 1972, après une année de chômage, il rentra comme technicien juridique chez Trapil, une société d’économie mixte gérant les pipelines de France (1972‑1976). De 1977 jusqu’à sa retraite en 1982, il fut demandeur d’emploi.
“Un homme qui luttait dans tous les instants de sa vie.”
Si, dès le début des années d’après-guerre, il fut délégué CGT, cela ne dura pas. Il en fut expulsé après la mort de Staline. Entre-temps, il avait fait la connaissance du groupe marxiste antistalinien Socialisme ou Barbarie auquel il adhéra formellement en 1953. Les débats au sein de SoB, en rupture avec le trotskysme, portaient essentiellement sur la nature de l’URSS, considérée comme un capitalisme bureaucratique d’État. De ce groupe réunissant un certain nombre d’intellectuels, il se sépara en 1958, au moment du coup d’Alger, car revenait la question du parti et des tâches d’avant-garde. En opposition avec cela, il sortit du groupe. Avec Claude Lefort, il fonda un groupe qui prit le nom d’ILO (Information et Liaisons Ouvrières). Il regroupait au début essentiellement des intellectuels et des étudiants. Rapidement un certain nombre d’ouvriers et d’employés du Regroupement interentreprises, créé au même moment qu’ILO, fusionnèrent avec ce groupe qui devint ICO (Informations Correspondance Ouvrière). Sous ce sigle, avec des réunions hebdomadaires et la publication d’un bulletin ronéoté, ce groupe publia nombre d’informations sur les luttes dans les entreprises en se positionnant aussi sur la question algérienne, refusant de prendre parti pour un camp et s’ouvrant aux luttes internationales.
Ce travail de réflexion et d’information dépassa les limites des courants antistaliniens, fort peu nombreux par ailleurs, au point qu’en octobre 1966, l’Internationale situationniste publia un texte intitulé Lire ICO qui suscita dans le groupe pour le moins une certaine incompréhension. Trois ans plus tard, en 69, l’I.S. se demanda : « Qu’est-ce qui fait mentir ICO ? ». Entre-temps, il y avait eu Mai 68 et les espoirs révolutionnaires qui se manifestèrent sous forme de débats enflammés, d’exclusions et de dérives théoriques. ICO traversa cette période en restant fidèle à sa pratique, c’est-à-dire rassembler les informations en provenance des entreprises comme expressions des luttes de classes et être un endroit de libres confrontations.
“Plaçant la lutte de classes au centre de son existence.”
D’Henri il est possible de dire qu’il fut avant tout un homme qui luttait dans tous les instants de sa vie. C’est ainsi qu’il comprenait, vivait la « militance » et ne la réduisait pas à son aspect politique. Il ne se disait pas non plus « révolutionnaire », car ce mot était trop souvent associé à des personnes pour qui l’engagement politique est tout, au point d’oublier qu’ils sont avant tout des êtres humains contradictoires qui n’arrêtent pas de merdoyer tout au long de leur vie. Plaçant la lutte de classes, la lutte pour « matérielle », qui seule peut transformer radicalement l’ordre existant, au centre de son existence, il n’a cessé de se remettre en question, de s’interroger sur sa propre évolution.
Jusqu’au bout, il est resté indocile, toujours curieux des changements d’ordre économique, politique, technique… Toujours ouvert, toujours à l’écoute, mais pas pour autant homme parfait, cela va de soi. Voilà ce que nous pouvons retenir de l’homme. Il a cependant sans aucun doute incarné ce regroupement qu’était ICO qui porta dans ses publications l’idée des conseils ouvriers en faisant revivre la révolution allemande à travers sa brochure Les conseils ouvriers en Allemagne. ICO marquait là sa parenté avec le courant communiste de conseil hollandais et son initiateur, l’astronome Anton Pannekoek.
Henri a laissé des traces directement dans une longue interview intitulée « De la scission avec Socialisme ou Barbarie à la rupture avec ICO ». menée par les auteurs de la publication L’Anti-mythe où il relate en détail sa trajectoire politique comme dans une interview filmée présente sur le site https://labournet.tv réalisée en 2018.
“Son besoin de confrontation permanente.”
Arrivé au milieu de cette rétrospective, il fait le point sur les possibilités des luttes actuelles. Après avoir rappelé que les coopératives avaient été une tentative pour le monde ouvrier de prendre possession à la fois de son travail et de sa production, tentative récupérée par le capital, Henri rappelle « en 1905, l’apparition des conseils ouvriers, que personne n’avait prévus, qui se sont développés en fonction de la structure du capitalisme à ce moment. L’idée de pouvoir gérer une entreprise, il faut que l’entreprise soit un tout, ce que le capitalisme était entre les deux guerres. Par exemple, à Renault Billancourt, c’était une totalité, à ce moment-là une gestion de l’entreprise peut se concevoir. Mais le capitalisme aujourd’hui est quelque chose de complètement différent, il est tellement mondialisé d’une part, différencié d’autre part […] aucune entreprise ne peut être isolée du reste. Ce n’est pas par hasard que l’idée d’autogestion, de conseils ouvriers ne peut plus se développer. Il n’y a pas de perspective, même les grèves les plus radicales qu’il peut y avoir, c’est uniquement pour avoir du pognon. Ce qui est entièrement nouveau, positif, les occupations de places comme Occupy Wall Street peuvent faire penser à l’apparition des conseils en 1905 […] ce qui est très positif, c’est une internationalisation du phénomène ».
Après ICO, ce fut Échanges et mouvement. Né en 1975, « c’est essentiellement un réseau de contacts et la publication d’un bulletin qui n’a jamais été conçu autrement que comme une sorte de lettre collective destinée à un réseau réduit de souscripteurs supposés y trouver des éléments d‘information et de discussion pour leur propre travail de réflexion ». C’est ainsi qu’Henri le définit dans un texte interne en 1979.
Dans le même texte, il explicite son besoin de confrontation permanente qui pourrait être tout à fait le nôtre, « Pourquoi voudrait-on discuter avec tant de copains si nous n’avions pas ce besoin, j’ai pratiquement fait tout cela toute ma vie, jamais inutilement ». Henri ajoutait alors ce qui peut nous sembler fondamental : « le besoin de se retrouver avec ceux qui partagent les mêmes conditions d’exploitation ne peut être rempli et satisfait que par le mouvement de lutte lui-même ».
Pierre Sommermeyer