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Hommage à Nicole Fontan

La Loire nous l’a ôtée !

mai 2025.

La nouvelle est arrivée cet hiver (en février) : Nicole Fontan a choisi de se suicider. Elle venait de passer un moment avec un de ses grands amis au Puy-en-Velay. Sans rien dire, elle a déposé son manteau, son téléphone et s’en est allée ! C’est ainsi, elle n’était plus toute jeune (elle avait 76 ans), elle a résisté pendant de longues années à ses démons, à ses désirs d’en finir avec la souffrance.



Elle est née en septembre 1949. Fille non désirée, elle a passé son enfance en institution religieuse à Toulouse jusqu’à l’âge de 9 ans. Une de ses tantes s’est plus ou moins occupée d’elle. En 1959, elle « monte » à Paris avec la gamine dans ses bagages. À 21 ans, lâchée par les services sociaux, Nicole doit travailler en tant qu’employée de bureau. « Elle change de boulot comme elle change de chemise », dit-elle lors d’une interview [1]. En 1974, elle entre à la Caisse d’Allocations familiales et se syndique à la CFDT. Elle s’intéresse aux actualités sociales, mais il est hors de question pour elle d’adhérer à un parti. Elle participe à titre individuel aux différentes mobilisations d’alors.

En 1977, elle rejoint Marge et le Comité d’Action des Prisonniers où elle rencontrera son futur compagnon, Jacques Lesage de la Haye.

Elle participera au squat animé par Marge au 39 rue des Rigoles dans le XXe arrondissement de Paris. Elle fera partie d’un mouvement organisant les femmes prostituées. Nicole était une militante de terrain, en marge elle était dès sa naissance, à la marge elle militera.

« La rage et la révolte à fleur de peau »

Son activité auprès des personnes incarcérées fut incessante : le CAP, l’émission « Ras-les-murs », la commission prison d’Act UP. Plus de trente ans de luttes pour désemmurer les « marginaux ». Avec Patrick Marest, Jacques Lesage de La Haye, Serge Livrozet, elle participera aux activités du groupe Berneri de la Fédération anarchiste. Nicole, dont la rage et la révolte étaient à fleur de peau, était non seulement une camarade, mais une amie. Elle pouvait, les yeux pétillants et le sourire éblouissant, demander aux copains et copines qui construisaient l’école libertaire de se remettre au boulot : « Ben alors, la rentrée c’est bientôt [2]. »

Elle n’a pas participé aux travaux de la commission femmes de la Fédération anarchiste, mais pouvait avec humour remettre quelques virils militants à leur place. Comme disait Jacques, elle ne craignait pas la castagne !

Le désespoir à fleur de peau, débordante d’énergie vitale, elle pouvait déranger et elle dérangeait ! Nicole, du genre grande gueule, cassait les schémas sociétaux de la femme calme et maternante. Elle s’est isolée, rattrapée par le désespoir qui l’a accompagnée toute sa vie. Nicole, ce sont des années de luttes, de visibilisation des déviants, des invisibles : un cri contre les souffrances sociétales orchestrées par un monde lisse, inodore, où des personnes peuvent passer leur vie au ras des murs ! Merci pour elles, pour nous. Sans toi nous ne les aurions pas vues, pas entendues.

Thyde Rosell


[1Cf. entretien de Nicole et Jacques en avril 2004
http://sebastien.schifres.free.fr/lesage.htm

[2En deux mois plus de 80 libertaires construisirent une école qui fut ouverte en temps et en heure grâce à eux et à l’entraide militante : cela vaut mille lingots de beaux discours !