Annoncée le 8 avril dans les médias, la nouvelle déroute. Comment les anti-IVG ont-ils réussi à faire abandonner au laboratoire Roussel-Uclaf la fabrication et la commercialisation de la pilule abortive RU 486 ? Petite explication.
Il semble tout dabord primordial de revenir sur les méthodes de lutte des anti-IVG contre la RU 486. Pour cela, il nous est très facile den trouver tous les détails dans lexcellent bouquin de Fiammetta Venner, Lopposition à lavortement : " En 1988, les internationales anti-avortement décident de freiner lexportation de la RU 486, la pilule abortive, hors de France, et de boycotter les autres produits du laboratoire Roussel-Uclaf qui la produit. Linitiative est prise en France par lAOCPA (Association pour lobjection de conscience à toute participation à lavortement) qui recommande à ses adhérents dacheter une action de Roussel-Uclaf et de Hoescht, son partenaire allemand. Pendant que se déroule lAG, une manifestation extérieure est organisée par lAOCPA. Les militants de La Trêve de Dieu y contribuent très vigoureusement depuis 1990. Le dernier projet de La Trêve de Dieu "Stop the French pill RU 486" est destiné aux groupes des États-Unis, du Canada et dAustralie. Le 21 juin, date de lAG de Roussel-Uclaf, est devenu depuis 1992 une journée de protestation internationale contre cette société ( ) Boycotter Roussel-Uclaf est une priorité pour les militants "provie". Lachat dactions et le trouble provoqué pendant les Assemblées générales a pu amener certains dentre eux à croire quil y avait une chance de faire abandonner au laboratoire la production du RU 486. "
Aujourd'hui, on dirait plutôt que les mobilisations et le trouble provoqué pendant les commandos anti-IVG ont pu amener certains dentre nous à croire quil ny avait aucune chance de faire abandonner au laboratoire la production de RU 486. Fiammetta Venner avait lair de nous dire quil est inenvisageable que Roussel-Uclaf abandonne un jour la RU sous la pression des anti-IVG.
A nous aussi, parfois, il nous a semblé impossible, en voyant qui sont les militants anti-IVG, quils puissent gagner une bataille telle que celle-là. Cest vrai quen France, ils font plus pitié que peur. Peut-être avons-nous oublié, dans le feu de nos actions que ceux que nous voyons dans les commandos ne sont pas seuls mais quils sont vigoureusement soutenus par leurs homologues américains, lOpus Dei et lextrême droite, quils ont de nombreux partenaires dans la classe politique. Mais plus que tout, ce qui a fait quils ont gagné, cest quils ont joué avec les armes quimposent un système capitaliste. Cela démontre une fois de plus que ceux qui dirigent et régissent nos vies ne sont pas ceux auxquels va la majorité des votes. Ceux qui vont, dans ce cas précis, décider de la politique à suivre en matière de contraception, davortement et de libre choix des femmes à mettre au enfant au monde, nous le voyons aujourd'hui, ce sont les entreprises, qui soucieuses damasser le plus de profit possible préfère céder aux pressions financières de fachos que de faire en sorte que la pilule abortive, une des avancées en matière d'émancipation féminine perdure.
Bien sûr, nous annoncent, rassurants, les médias, la commercialisation du RU 486 nest pas menacée. Cest-à-dire, quelle est toujours commercialisable. Mais quelle entreprise laborantine est prête à prendre en charge sa commercialisation, en sachant pertinemment que sous peu, les anti-IVG organiseront loffensive contre elle ? On peut aisément imaginer que si un groupe tel que Roussel-Uclaf cède, les autres ne résisterons pas longtemps. Si toutefois un laboratoire le faisait, à quel prix commercialiserait-il la pilule, devenue marchandise précieuse, du fait des polémiques qui continuent à lentourer, dix-sept ans après sa découverte ?
La bataille contre la RU 486 était une des luttes les plus importantes pour les anti-IVG. Souvent assimilée au Zyklon B dans leurs textes, tracts et déclaration, elle leur a permis de retourner linsulte de nazi à ceux qui sopposait à eux : " Si les ftus sont [assimilés à] des juifs, et leurs défenseurs [à] des Justes et des résistants, il va de soi que les défenseurs du droit à lavortement - leurs ennemis - sont des nazis ".
De plus, cette comparaison leur a également permis de relativiser le génocide juif : " pour les opposants à lavortement, les juifs persécutés sont danciennes victimes dun holocauste dépassé. Les nouvelles victimes du nouvel holocauste, i. e. les ftus victimes de lavortement. Par le nombre de ses victimes [ ], ce nouvel holocauste relativise lancien. Mais qui sont ces nouveaux bourreaux ? On apprend quil existe un complot ourdi contre la famille, une conspiration dont lavortement et la contraception seraient les fers de lance et dont les acteurs seraient, de préférence, des juifs, lavortement est donc un génocide perpétré par les juifs contre la race blanche (sic) ; si les juifs sont en position de persécuter une nouvelle catégorie de victimes, cest donc quils ont survécu ; sils ont survécu, cest donc quils nont pas été exterminés Donc, les nazis nont pas tué de juifs. CQFD. "
Si nous reprenons volontiers, en tant que militants, que leurs avancées sont faites de reculs, il est grand temps que nous avancions à nouveau, et de manière significative. Se battre pour la préservation dun droit ou dune loi comme la loi Veil sera toujours beaucoup plus aisée que de lutter contre " les lois du marché ". Il nest plus besoin de rappeler la piètre éthique dune entreprise. Que ce soit lors de licenciements ou comme ici darrêt de commercialisation de la RU 486, ce qui préoccupe les patrons, cest le profit, pas le bien être de la population. Une fois de plus, nous voyons comment fonctionne la machine capitaliste ; une fois de plus nous voyons que les foyers de lutte, quils soient féministes, en faveur des sans-papiers, regroupant des chômeurs ou des salariés ne peuvent plus être morcelés. Au contraire et de plus en plus, il nous faut avoir et donner une vision globale, seule capable de remettre en cause les inégalités quengendre le capitalisme.
Toutes les citations sont tirées du livre de Fiammetta Venner Lopposition à lavortement, 1995, collection Pensée politique et sciences sociales, Berg international éditeurs.