Le mot "facho " revient fréquemment dans la bouche de jeunes - et parfois moins jeunes - gens en colère pour désigner un ensemble dindividus à lattitude et/ou au discours autoritaire. Dans la plupart des pays occidentalisés, des groupes se sont constitués qui se qualifient d'" antifa ". Dans les instants de particulière gravité, le terme " fasciste " est substitué à " facho " dans lenceinte du discours.
Nous-mêmes n'échappons point à cette pratique puisque, lors une précédente contribution (Le péril brun, Monde libertaire n°1059), nous établissions un parallèle entre laccession dAdolf Hitler au pouvoir dans les années 20-30 de ce siècle et la politique du Front national en France, aujourd'hui
Nous ne citerons que pour mémoire lusage extensif qui consiste à lancer des " fachos " et des " cest facho ", voire des " cest complètement facho ", à la face de tout ce qui nous déplaît (parent, keuf, politicard retords et autre autoritaires qualifiés). Il ne sagit là que de réactions dadolescents dont le ridicule et le fastidieux n'échappent qu'à ceux qui en usent.
Historiquement, le régime de Mussolini reposait sur la dictature dun parti unique, le corporatisme et le nationalisme. Il rejetait la croyance au progrès, la démocratie, le pacifisme, et cultivait lobéissance au chef du parti.
Le premier point qui nous frappe lorsque nous examinons ce qui est qualifié de " fasciste " aujourd'hui, cest que cela ne présente pas beaucoup de rapport avec la doctrine politique qui sévissait en Italie dans la première moitié du XXe siècle. En fait, il semble que le terme " nazi ", trop chargé d'horreurs estimées, effraye. Pourtant, cest davantage de cela quil sagit à notre avis (un état autoritaire, une nation supérieure (qui préserve son sang), le culte de la force) - On sinterroge sur les raisons qui firent prévaloir le mot " facho " sur celui de " nazi " - même si celui-ci apparaît sporadiquement dans les textes et les intitulés, quoique rarement seul (anti-nazi, néo-nazi, crypto-nazi, etc.).
Souvent, le mot " facho " est donné pour synonyme de raciste. Bien que le racisme ne soit quune composante, non négligeable, des " fascismes modernes ", il serait dangereux de réduire ceux-ci à cet aspect ; ce serait faire limpasse sur le totalitarisme associé au concept alors quil ne lest pas à celui de raciste ou dantisémite, ou danti-X, en règle générale. Pour un régime de type " fasciste ", au sens moderne du terme, l'étranger est impensable puisquil indique quune différence est possible et que les lois sont relatives à une époque et à un lieu. Il devient donc indispensable de l'éliminer. Il sagit moins dun racisme viscéral - du moins chez ses instigateurs - que dune manuvre de pouvoir. En ce sens, il nest pas lapanage des régimes totalitaires mais peut savérer un outil particulièrement utile entre les mains de tout gouvernant.
De notre point de vue, le racisme nest quun moyen de contrôle (les effets du racisme sont triples : il désigne des coupables facilement identifiables, il habitue à faire porter sur autrui la responsabilité de ce qui ne ressortit que de nos démissions - il nest dautorité que reconnue -, il constitue lunité nationale sans laquelle il ne serait personne pour aller défiler au pas de landouille sous quelque drapeau que ce soit.) utilisé par des autoritaires - entre autres opérateurs - pour faire diversion aux vrais problèmes qui, eux, peuvent trouver une solution rationnelle qui ne leur conviendrait pas. Dans le cas du chômage, par exemple, il est plus simple de colporter des absurdités sur la responsabilité des immigrés que de sinterroger sur la valeur réelle du travail et de sa place dans linconscient démocrate et capitaliste lautogestion est un ennemi face auquel aucune bassesse ne sera assez abjecte dans la fantasmatique de ceux qui règnent.
Dabord, ce quon nomme " fascisme " est un totalitarisme : il veut régir tous les aspects de notre vie. Sil nest pas le seul, du moins est-il de ceux chez qui aucun nuage dapparence ne vient embuer lappréhension du fait. Les autres autoritaires, capitalistes et démocrates, sil rêvent dun monde bien tempéré, ne prétendent pas à une régence absolue. Plus, ils sont prêts à accepter, voire à susciter, des volants dinsolence et de liberté dans la mesure où ils savent y mettre pied et leur imposer, qui leur " bon goût ", qui leur mercantilisme. Les démarches alternatives, malgré la sympathie que nous pouvons éprouver vis-à-vis delles, ne sont jamais, en dernière analyse, que linvention de bourgeois pour réintégrer dans l'économie ceux de ses enfants qui prétendaient la renier en même temps que de peu coûteuses soupapes de sécurité pour les pouvoirs établis, puisque gérées par des individus qui pourraient plus dangereusement user de leurs énergies.
Pour le totalitariste, il ne saurait être question despace de liberté. Il doit tout être. Tout diriger. La pensée qui émerge dans une tête doit venir de lui ou la tête doit être tranchée. Nous pourrions dire, sans risque de trop nous tromper, que là où le démocrate châtre parfois et souvent intègre (en novlangue, ça s'écrit : récupère) le totalitariste tue.
Aujourd'hui, cest moins le totalitarisme que nous devons craindre que son discours (il est partout) et la banalisation de ce dernier. Quand un membre du Parti communiste promis à un brillant avenir lançait des bulldozers sur des quartiers où vivaient les immigrés, il y a quelques années, était-ce du communisme ?
Quand un politicien du Rassemblement pour la République promis à un brillant avenir évoquait les " bruits " et les " odeurs " (1), était-ce du libéralisme ?
Charles Pasqua, quand il a pondu sa loi rétrograde, na pas agi autrement que les deux zozos ci-dessus évoqués. Dautres encore sont tombés dans cette horreur/erreur. Était-ce du gaullisme ?
La liste serait trop longue de ces incidents de la raison pour que nous les cataloguions ici - profitons-en pour saluer le travail du Réseau Voltaire qui se donne la peine de le faire à notre place.
Il serait injuste autant que stupide daffirmer que messieurs Hue et Chirac soient des fascistes : lun est stalinien et lautre gaulliste - à chacun son culte, après tout. Pourtant, lun comme lautre, à ces instants, ont en commun de s'être fait porteurs dune idéologie quon ne peut qualifier autrement que du terme raciste.
De même, dans les bistros, les bus, les trains de banlieue et les écrits de la presse, nous retrouvons comme axiome cette idée quil y a un problème, une angoisse, une insécurité (le mot est lâché). Cette insécurité sexprimant indifféremment par le mythe de la dangerosité des banlieues, celui du méchant concurrent européen à qui lon a inconsidérément ouvert les frontières, linvasion des immigrés ou la trique du chômage.
Nous avons limpression que tous les tenants du verbe politisé sont daccord pour reconnaître un trouble, alors quil ne sagit que de savoir si Machin a le droit de vivre comme il le veut et où bon lui semble.
Un autre aspect inhérent à la pensée autoritaire est le protectionnisme.
En même temps que lon prône louverture des frontières on diabolise le fait : dune part en avertissant contre lautre, l'étranger, dautre part en agitant le spectre dune non compétitivité économique ça a au moins le mérite - pour les maniaques de la prétendue libre entreprise - de faire passer les restructurations et " dégraissages " en douceur.
Il faut dire que dans un pays comme la France où lon cultive la " spécificité nationale " cela flatte le BOFisme (Beur-Oeuf-Fromagisme - pour les nouveaux venus -, théorie flattant la bêtise de groupe et qui pousse, par exemple, un spationaute à embarquer fièrement dans une capsule spatiale avec une baguette de pain) ambiant ou une bande de pauvres gosses conditionnés à foutre un rebeu dans la Seine.
De fait, où que nous tournions notre regard, force nous est faite de constater que les prolégomènes " fachos " sont acceptés. Si les méthodes proposées diffèrent, les bases restent les mêmes. À l'époque où lon trafique les gènes de porcs pour sauver des vies humaines de maladies diverses, il y a encore des individus pour vouloir affirmer des différences malsaines entre êtres humains, pour vouloir établir des clivages entre esclaves salariés et esclaves RMIsés, pour vouloir opposer le keum à la frangine, pour vouloir nous faire avaler la coupe de lautre jusqu'à la lie du solipsisme.
Et tout ça au nom dune cohésion sociale. Alors, quen fait, il ne sagit que d'écouler les stocks de téléphones portables, de capotes aromatisées à la peur, de mangas à la mords-moi la tendresse de nous faire entrer dans le moule du bon consommateur endetté - et donc prisonnier du patron salvateur qui nous permet d'éponger nos déficits.
Au nom de la peur et de lautre, on nous fourgue un avenir de milice et de pleutres merci le siècle ! On croit mourir pour des idées, on vit pour des marchands de sable.
Face à cette " banalisation " des " idées fascistes ", nous ne sommes pas désarmés, loin de là, mais il faut du courage.
Dabord, il y a les actes viscéraux comme ceux de ces compagnes et compagnons qui, sur un marché, reléguèrent par la force des militants du Front national jusquaux murs dune pharmacie, jusqu'à accrocher leurs affiches à un distributeur de préservatifs. Dans la même catégorie réside une action comme le démantèlement dun stand au salon du livre.
Au-delà du bien être que nous procurent ces interventions - et de la satisfaction qui sen suivra lorsque nous en saoulerons nos descendants -, il nous faut être conscient quelles ne constituent pas une vraie forme de lutte à terme, même relayées par la presse. Objectivement, nous pouvons les qualifier de réactionnaires. Elles ne sont indispensables que si nous avalons cette couleuvre quon ne discute pas avec un " facho " (Cest vrai quon ne discute pas avec un " facho " puisque son opinion relève de la foi plus que de la raison, à moins d'être suicidaire ; mais lattitude qui consiste à penser que lautre, lindividu à qui lon est confronté, nest quun " facho ", et seulement cela, nous semble malsaine et intolérante) et que nous en concluons que le cassage de gueule - qui na rien de libertaire - peut résoudre les problèmes.
Cest faire fi de la nature humaine, ce quun anarchiste ne peut se permettre. Lacte, frustrant pour la victime de la propagande totalitaire, qui consisterait à abattre sur la carcasse osseuse dun individu fascisant une bonne et saine claque ne pourrait quinduire une folle régression dans lunivers de lenfant battu et, au-delà et naturellement, une prompte agression qui ne se lèverait pas contre la main oppressive mais contre une plus faible. Par ailleurs, nous somme conscient quaucun recul significatif de lautoritarisme ne peut advenir de ce constat d'échec quest la violence. Cette dernière ne pouvant se justifier que lorsque nous sommes personnellement confrontés à un danger physique immédiat.
Lautre voie qui soffre à nous pour lutter contre les totalitarismes est celle de la propagande, de la discussion, des réunions publiques, des débats, des prises de parole et autres outils de communication - traditionnels, comme la presse écrite et la radio, ou modernes, comme Internet et les zines sur CD ROM.
Face à la bêtise raciste, il nous appartient de mettre en place des comités de vigilance, des centres où linformation puisse affluer afin que nous la répercutions, des lieux de réflexion et de débat, des espaces de confrontation des idées où chacun (et surtout ceux qui risquent de se laisser entraîner dans laveuglement fasciste) puisse venir confronter sa réalité à celle des autres. Il ne saurait être question que ces instances se constituent en tribunaux - sur quel droit subjectifs sappuieraient-elles ? - mais simplement dinstaurer des lieux où se poser et se parler pendant que le dialogue est encore possible. Lattitude consistant à insulter la femme ou l'homme qui serait tenté de foutre dans lurne un bulletin de vote favorable au Front national, par exemple, ne doit pas avoir sa place, de notre point de vue, chez des anarchistes. Si nous pensons que chaque individu est à même de se déterminer et de savoir ce qui est préférable à son bien-être et si nous pensons, de plus, que la liberté dun seul est indispensable à la liberté de tous, nous ne pouvons pas nous ériger en juges ou en directeurs de consciences, pas plus quen bourreaux. Ce sont là des armes de prêtres et de politiciens ; de même que les armes sont celles des flics et des soldats.
Nous pouvons plus positivement user de tous les moyens dont nous disposons pour établir le dialogue avec lensemble des personnes qui nous entourent. Pas besoin de gros moyens pour organiser des rencontres, des fêtes, des débats ou pour distribuer des tracts, coller des affiches ou rédiger des brochures artisanales.
Dans le domaine qui nous intéresse, une brochure vient de sortir qui mériterait une large diffusion dans les quartiers. Elle est l'uvre de compagnons de la C.N.T.-A.I.T. et sintitule " Immigration : réponse aux mensonges racistes ! " (2).
Mais tout cela ne suffit pas. Même, ce ne peut être que ladjuvant à notre outil premier : lexemple. Car, en fin de compte, plus que nimporte quel discours, ce sont nos attitudes, nos pratiques, notre façon de nous adresser à ceux qui nous entourent et de vivre avec eux qui peuvent seuls servir darmes effectives contre la bêtise totalitaire.
Lefficacité ne réside bien sûr dans aucun des éléments précédents pris isolément. Tout est question de circonstance. Il est des instants pour que le corps parle, dautres pour la discussions et dautres, enfin, et heureusement les plus nombreux où nous pouvons présenter, mettre en place et susciter des modes de relations humaines basés sur lindividualité et le respect des différences. Tout cela ne sexclut pas.
Au delà de ces considérations tactiques, il est bien évident que la seule attitude à adopter pour éradiquer définitivement le risque " facho ", en particulier, et autoritaire en général ne saurait être que de rejoindre la nébuleuse libertaire (anarchiste si possible ; mais libertaire est un bon début) tant la mauvaise herbe autoritariste est vivace et fleurit vite sur la plus petite aire de charnier mental.
(1) Pour ceux qui sont trop jeunes ou qui ont oubliés, nous ne résisterons pas à lidée de leur livrer la période dans son intégralité : " Comment voulez-vous, que le travailleur français qui travaille avec sa femme, et qui ensemble gagnent environ 15000 francs, qui voit sur le bas du palier à côté de son HLM, entassée, une famille, avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50000 francs de prestations sociales sans naturellement travailler, si vous ajoutez à cela le bruit et lodeur, et bien le travailleur français, sur le palier il devient fou. Ce nest pas être raciste que de dire cela, nous navons plus les moyens d'honorer le regroupement familial, et il faut enfin ouvrir le grand débat qui simpose dans notre pays, qui est un vrai débat moral pour savoir sil est naturel que les étrangers puissent bénéficier au même titre que les Français dune solidarité nationale à laquelle ils ne participent pas puisquils ne payent pas dimpôts. " (Jacques Chirac, 1991)
(2) Pour se la procurer, pour 20 F (frais de port inclus), chèque à lordre de " guerre sociale " : CNT-AIT Interco Doubs, c/o CESL, BP 121, 25014 Besançon Cedex