Cest reparti pour deux tours Chirac la annoncé : tous aux urnes. " Il faut redonner la parole à notre peuple ". Cest bon de rêver et cela calme la souffrance (1). Comme si lactuel président se souciait du peuple Lui, lancien ou l'éventuel prochain (Mais ne sautons pas les étapes, le 25 mai, sa place nest pas en jeu !) Le jour de la fête des mères (ah ! les saintes odeurs de la famille pétainiste), nous serons appelés à élire nos députés. Chirac en a décidé ainsi. Il nest pas très malin, mais il a quand même un réflexe de survie pour sa caste. Cest là la nouveauté : il fait joujou avec les institutions de l'État bourgeois ! Autrefois, les " inexprimables crétins " (les hommes d'État selon Octave Mirbeau) avaient au moins lemballage adéquat. Aujourd'hui, il ny a plus rien Finis, " les grands soirs ", les lendemains qui chantent, les promesses à la pelle, lavenir radieux, midi à quatorze heures " Le vrai mobile de lacte présidentiel nest pas de nature à apaiser la crise de la représentation politique [ ] Plus quune évidence, cest presque la palissade ; si Jacques Chirac provoque une élection, cest parce quil pense que son camp à plus de chances de gagner aujourd'hui quen mars 1998. " (Libération le 22 avril 1997)
Cela a au moins le mérite de la clarté et facilite peut-être l'écoute des libertaires ! Il était temps. Merci Chirac !
En quatre semaines, grâce à lui, nous allons assister à un véritable condensé de professions de foi, de petites phrases assassines, de débats foireux pour un seul objectif, à droite comme à gauche, celui dexercer le pouvoir. Côté marketing, les publicitaires ne sont pas au chômage Mieux que les paquets de lessive, les affiches du PS seront vertes " Le bleu a été éliminé doffice, cest la couleur de la droite [ ] ; un vert vif et chaleureux " (Le Monde du 26 avril). Côté slogan, là encore ça va frapper fort. Le PCF saffiche déjà avec " Du nerf à gauche " (les matraques de Vitry ?) Au PS, on hésitait encore mercredi 23 avril entre la " La France autrement " ou " Changeons davenir " La droite, elle, se veut moderne et Le Pen qui a été pris un peu de court saffiche en banlieue parisienne avec un tricolore " 1998, le grand changement " Comme quoi la connerie est intemporelle.
Tout cela prêterait à sourire, si tous ces coquins ne nous rendaient pas la vie impossible " Les moutons vont à labattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils nespèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour les bourgeois qui les mangera. Plus bête que des bêtes, plus moutonnier que les moutons, l'électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. " (2)
A droite, à gauche, Juppé, Voynet, Hue, Léotard, Jospin, Le Pen, Chevènement, de Villiers Ils sont des centaines à briguer un poste. De quoi blêmir à la pensée que tous nont quune seule envie : conquêrir le pouvoir et ses attributs. Tous bien sûr pour notre bonheur
Au fond, nous la trouvons saugrenue cette idée quun politicien professionnel pourrait nous rendre heureux ! Particulièrement aujourd'hui, car lacte chiraquien ne peut pas nous tromper ; lillusion dun changement de majorité politique à lAssemblée nationale non plus.
Dans un contexte où les politiques sont devenus les pantins de la finance internationale, toute décision prise dans le cadre de l'État-nation étant vouée à l'échec, on ne peut même plus sillusionner en déléguant son pouvoir à un guignol local. On pouvait encore y croire il y a quelques années mais aujourd'hui ce nest plus possible !
Dans une Europe dominée par une logique économique libérale, dans une société où la " mondialisation de l'économie " est devenue un lieu commun, tout projet politique qui ne sinscrirait pas en rupture avec le capitalisme est condamné à le gérer ; dautant plus dans une logique parlementaire ! Cest confirmé à la lecture des premiers tracts : exemple, celui du PS. " Aujourd'hui, le choix qui nous est proposé est clair : dun côté, un capitalisme dur animé par un esprit de revanche sociale fondée sur la précarisation ; de lautre, une certaine idée de la société fondée sur la solidarité, le dialogue, le respect du contrat social initié à la Libération, produit des luttes populaires et du contrat de la Résistance. " Faisons abstraction du langage publicitaire appelant à des valeurs sûres (solidarité, dialogue, Libération, luttes populaires, Résistance) : que dit le PS ? Rien face au " capitalisme dur " ; propose-t-il un capitalisme mou ? En clair, une social-démocratie Merci, on a déjà donné ! Avec quels résultats : augmentation du chômage, progression de lextrême droite le catalogue est connu ! Avec cette particularité bien décrite dans les analyses " post-mitterrandiennes " relatives à laction de la gauche : lopposition traditionnelle étant au pouvoir, les milieux associatifs politiques et syndicaux ont fait preuve dun extraordinaire silence. Résultat, la gauche a joui dune liberté totale daction et Mitterrand a mené des réformes sociales et économiques dont la droite nosait même pas rêver. Doù le fameux bilan : en dix ans de pouvoir socialiste, la gauche a été plus efficace que la droite pour préparer le terrain aux capitalistes.
Il y a belle lurette que les profiteurs se sont émancipés des États et de leurs parlements. Largent na pas dodeur, et pas non plus de frontières. La nation, l'État : un produit de vente pour les fonds de commerce électoraux De lextrême gauche à lextrême droite tout le monde s'épuise à nous envoyer aux urnes alors que cela ne sert à rien, si ce nest à détruire toute tentative réellement émancipatrice. Grèves de novembre-décembre 1995 Les acteurs de ce mouvement y croyait, beaucoup espéraient Ils nappelaient pas à voter Il voulaient tout simplement dire stop, se réapproprier le pouvoir de décision, ne plus déléguer sa voix. On était à lopposé dune logique électorale. Quelque part aussi voulaient-ils changer la vie ! A lexemple de cette salariée de lentreprise Wonder qui à la fin des grèves de 68 s'écriait ; " Je ne rentrerai pas Je ne foutrais plus les pieds dans cette taule " (cf. le film magnifique d'Hervé le Roux " Reprise ").
Oui, il y a plus a gagner à lutter qu'à élire Et cela donne ce cri de désespoir dune salariée de 68. Cela donne aussi cette déprime des salariés après les grèves de décembre 1995. Parce quils y croyaient A revoir encore cette émission dArte diffusée le 19 décembre 1995 : " Paroles de grève ". A lissue du mouvement, les contrôleurs de la gare dAusterlitzt avaient triste mine et certains avouaient : " ce mouvement, c'était mieux que les vacances [ ] Dur, je vais retrouver mon train-train quotidien, et leurs gueules denfoirés " Oui, mai 68 décembre 95, c'était sans comparaison avec lefficacité dun bulletin de vote.
Les élections sont faites pour tuer tout mouvement social et transformer les acteurs potentiels que nous sommes en moutons bêlants . " Je te lai dit bonhomme, rentre chez toi et fais la grève " (3).
(1) La grève des électeurs. Octave Mirbeau. Ed Ludd, 25 F. En vente à la librairie du Monde libertaire
(2) Idem
(3) Idem