(re)Construire le projet social

Tandis que la bourgeoisie mondaine s'éclate à Cannes avant de rallier Rolland-Garros avec son cortège de badauds affriolés qui, en deux ans de travail, au moins, ne pourront pas se payer l'équivalent d’une semaine d'hôtel au Carlton, la campagne électorale remplit toutes ses promesses : celles du vide abyssal, qui nous cache malheureusement les futures politiques d’austérité. L’extension mondiale du capitale réclame toujours plus de victimes. Y croirait-on toujours que les hommes (et femmes) politiques, et encore le voudraient-ils bien, sont quasi impuissants face au pouvoir économique. En 1992, le fameux Georges Soros, le spéculateur qui se prétend humaniste et soucieux d’un capitalisme moins sauvage, a joué au poker avec John Major, le premier ministre britannique d’alors. Et il a gagné. En spéculant, il a fait sortir la livre sterling du serpent monétaire européen, et il a gagné un milliard de dollars en une semaine. Il y a quelques mois, en février 1996, le même Soros est venu prêter main forte à un certain Sakakibara, surnommé " Monsieur Yen ". Au cours d’une rencontre au Japan Press Club à Tokyo, Sakakibara s’est arrangé pour que Soros déclare que le yen était trop haut. Aussitôt, la monnaie japonaise a chuté de 5 %. Un peu de baratin à la baisse de la part de grands manitous, et hop, les cambistes marchent dans la combine ! Chaque jour, l'équivalent du produit national brut français s'échange sur les marchés financiers mondiaux. Bien sûr, cette écume financière et spéculative ne doit pas masquer la formidable croissance de la production assurée par une classe ouvrière toujours plus nombreuse dans le monde - du simple manœuvre au technicien-informaticien en passant par le camionneur, le cheminot ou l’instituteur.

Il est clair que la gauche, même acoquinée des écologistes qui ont le culot de signer un pacte de non-agression avec les socialos alors qu’ils nous disent qu’il faut faire un bilan critique du mitterrandisme, n’a aucune réponse d’envergure à apporter. Il est non moins clair que toutes les solutions de repli nationalitaire, qui fricoteraient aussi bien avec l’extrême droite des nationaux-libéraux fascistes du FN ou avec les nationaux-gauchos du PC ou chevénementistes, ne déboucheront sur rien de positif, au contraire puisqu’elles accréditeraient en France comme ailleurs que l’Etat-nation, fruit et non noyau de l’impérialisme, serait un pis-aller alors que c’est la base socio-idéologique dont la bourgeoisie a besoin pour assurer son exploitation économique.

Le mouvement anarchiste est à un tournant historique. Il sort de près d’un siècle de marginalisation progressive, puis accélérée après 1936 et la deuxième guerre mondiale. La décomposition du système dit soviétique lui ouvre indéniablement de nouvelles portes mais la nature politique, qui comme ailleurs a horreur du vide, ne lui laisse pas la place ipso facto. Pour le moment, c’est le fascisme, néo ou post, le fondamentalisme, le cléricalisme (islamisme, catholicisme…), voire le nationalisme-révolutionnaire (certains pays de l’est ou d’Amérique latine), qui ont le vent en poupe. Le mouvement anarchiste ne pourra donc pas faire l'économie de deux réflexions :

Poser le bilan des trois compromis historiques successifs qu’il a passé avec d’autres composantes du mouvement social :

Plus récemment encore, l’Etat a perdu de sa superbe jacobine pour descendre au plus près de la population, des communes et des cantons. Mener une vie sociale et politique sans lui devient extrêmement difficile, sinon impossible. Et les expériences " alternatives " qui ont tenté d’y échapper se sont retrouvées là où précisément le pouvoir voulait qu’elles soient : dans la marge, sans réelle portée sociale, sans influence, voire avec une image de repoussoir ou, l’un n’empêche pas l’autre, en accueillant tous les désaxés fabriqués par la société capitaliste inhumaine.

Ce triple phénomène, restructuration de l’Etat, intégration structurelle du réformisme, dissolution des alternatives marxistes-léninistes ou écolo-babas, pose un véritable défi au mouvement anarchiste, d’autant que dans chaque lieu et chaque pays la situation peut varier. Ce qui se passe en Espagne n’est pas la même chose qu’en France, ne serait-ce que par l'histoire de chaque mouvement ouvrier.

Malgré tout, le mouvement anarchiste dispose de plusieurs atouts. En France, il s’est renforcé depuis une quinzaine d’années. Dans chaque pays, il se reconstruit ou se forme. Son principe internationaliste ou a-nationaliste est intact. Là où un travail de terrain a été mené avec constance, abnégation, sans démagogie ni sectarisme, les fruits commencent à germer. Les anarchistes recueillent une certaine considération, voire une légitimité… Il reste à comparer nos expériences dans chaque lieu, sans dogmatisme. Toutefois, quelques principes semblent se dégager :

Voilà quelques-unes des grandes questions auxquelles nous devons renforcer nos réponses. Ne prenons pas le parti du repli sectaire, ni de la démagogie aventuriste. Notre propre structuration est à repenser : nous savons l’importance de l’affinitaire pour que l’organisation soit autre chose qu’une machine à adhérents ou une cohorte de moines-soldats. Mais le poids du géographique, du spatial, de la commune, du pays ou du quartier montre que la réponse anarchiste à la décomposition sociale et à l’atomisation inhumaine voulue par le capitalisme doit se situer là. Un compromis entre l’affinitaire et le géographique est à trouver. Vite. Le redéveloppement de l’international est l’un des moyens de briser nos micro-frontières organiques. De la même façon que nous pousserons à repenser le projet social en tissant des réseaux auprès des associations ou des syndicats, nous agrandirons notre vision en élaborant des échanges concrets avec les anarchistes au-delà de l'hexagone.

Philippe Pelletier - groupe Nestor Makhno (région stéphanoise)