Loin de " (se) coucher, saltimbanque fini, sur les planches dernières ", Serge Utgé-Royo revient pousser son chant par chez nous. Même sil est difficile de parler dun retour. Car Utgé-Royo fait partie de la famille, celle qui refuse le " carnaval de feu " et qui sait quil faut " saluer, de la main et des yeux, les hommes et les femmes de chaque continent ", et dans un coin de notre tète, il y a parfois quelques uns de ces mots qui traînent. " Amis, dessous la cendre, le feu va tout brûler " ; par ces temps de braise, je lai souvent entendu ce refrain dans le magnéto de mon crâne. Serge Utgé-Royo est toujours sur la route, quelque part, entre Liège et Paris, " vivant dans un lit de brouillards ", à écrire ou à chanter. " Inexorablement, la vie pointe sa vie " et lauteur nous apporte ses mots.
Voici donc dans ce printemps quatre-vingt-dix-sept, la sortie de " Cinq cents hivers ", fruit dune collaboration visiblement fraternelle avec Jacques-Ivan Duchesne qui a signé la musique de treize des seize chansons de ce nouvel album de Serge Utgé-Royo. Un album quil présentera au public le 28 avril prochain pour un concert exceptionnel sur " les planches salutaires " du Trianon à Paris. Ces planches où Utgé-Royo a besoin de tenir bien debout pour y " dessiner (ses) mots " et venir partager avec ses " compagnons de rimes et de notes " (il était accompagné ce soir-là par Jack Thyssen et évidemment par Jacques-Ivan Duchesne), " des instants merveilleux d'émotion ".
Ses mots, Utgé-Royo les donne à son public. Quil sagisse de la colère ou de lespoir, de la peine ou de la tendresse, il nous chante qu'" il faudra bien tout partager ". A commencer peut-être par nos " histoires ". Histoires denfance, un des thèmes très présents dans ce nouvel album. Ce sont ici " les gamins qui tiraient les sonnettes ", mômes quon devine sortis tout droit dune photo de Doisneau, ou dailleurs des enfants qui nous rappellent plus la une sanglante dun quotidien à " la grimace étranglée ". Celle " dun enfant du désert collé sur un mur blanc, les yeux gris de terreur ". " La vie est une erreur " nous chante Utgé-Royo, une erreur qui nous balance entre " joie distraite " ou " désert des peines ". " Petits bonhommes de la lune ", " navigateurs de caniveaux ", les enfants y sont un peuple innocent, victime facile du Pouvoir. " Garde-toi, petit homme, de trop nous ressembler ! " prévient Utgé-Royo. A son " petit loup " quil berce du côté de Liège, il refile sa tendresse. Et cest sans doute dans cette respiration dans lenfance, quil puise la force de se tenir " loin des grands troupeaux " et de lutter contre loppression. Contre " cet entassement de misère et dennui ", " cette solitude au milieu des vivants " quest la vie de ces " Tristes cités " (une chanson quon entendra aussi dans " Un monde sans mal ", le prochain film de Med Hondo) ou contre ces Cinq cents hivers doppressions qui étouffent les Indiens dAmérique. " Il fait soleil sur ma planète " mais la lumière nest peut-être pas si bonne que ça. La vie est une actualité qui passe et trépasse sur le petit écran. Quimporte ce qui se passe ici ou ailleurs, au Nicaragua ou dans quelque cité anonyme, " la télé bavarde ", " les radios matraquent " et " les écrans mornes nous plantent les bornes de nos désirs flous ". " Désirs flous ", nos désirs fous, ce sont " (ces) fleurs qui poussent dans (nos) yeux ". " Malgré la mort qui chante sur tous les continents ", et justement pour ça, on sent bien, on sait bien quil " faut retrouver le temps des escapades ", ces " lentes respirations dans le jour qui senvole ", retrouver bien sûr " le temps des cerises venant chaque soir planter la Commune qui ne pousse pas "
Il y a parfois cette petite musique nostalgique qui effleure le long des textes de Serge Utgé-Royo, parfums denfances ou dinsurrections, il y a souvent lutopie, cet espoir dans le noir, cet éclairage particulier qui fait que lon se tient debout un peu plus droit, il y a toujours cette ferveur qui fait la force de son chant, un chant où les mots, la poésie, la musique sont des armes de résistance. Quand la chanson sarrête, quand le spectacle est fini et quand tombe le rideau, alors " cest linstant de se faire des signes ". Cest à ce moment là, quon se prend à rêver Camarade que " cinq cents hivers " annonce dans la clameur de nos voix mélangées mille printemps.
Cinq cents hivers (16 nouvelles chansons). CD en vente à la librairie du Monde libertaire 126 F (+12 F de frais de port, par correspondance).