Il y a une vingtaine dannées, le collectif Adret publiait un livre qui devait faire date. Son titre, Travailler deux heures par jour, apparaissait comme une provocation dans une société non encore gangrénée par le chômage de masse et la précarisation généralisée : il montrait, par des exemples saisissants, lactualité de la revendication " travailler beaucoup moins, vivre beaucoup mieux ", systématisée (comme Adret le soulignait) dès le début du siècle par Kropotkine dans La conquête du pain (1).
Vingt ans après, Adret récidive (2). Le sujet est légèrement différent, mais la méthode est la même : faire raconter des expériences dentraide, de résistance quotidienne à une société étouffante, par celles et ceux qui vivent ces expériences. Des petits riens, comme vous en connaissez sûrement près de chez vous. Dailleurs, les membres dAdret reconnaissent volontiers navoir pas eu à chercher bien loin pour recueillir ces témoignages. La plupart dentre eux sont inédits, même si certains avaient déjà une certaine notoriété (lextraordinaire histoire damour entre lorchestre de Lille et une école " difficile " de Roubaix circule depuis un certain temps dans les milieux musicaux).
Le choix est assez éclectique, depuis la renaissance dun village en Ardèche à la création dassociations en zone " chaude ", en passant par laide au logement ou le travail de conteurs contre le racisme et lexclusion.
Échantillon dinitiatives, dindividus non résignés, parcelles de vie et de beauté arrachées à un quotidien désepérant
Le danger serait évidemment de faire croire que " la " solution à la crise sociale réside dans ces initiatives quil suffirait, en quelque sorte, de multiplier. Mais les rédacteurs de Résister ne sont généralement pas dupes. Très peu se posent en exemple, et la plupart sont conscients de la portée souvent limitée en temps, en nombre ou en profondeur des résultats obtenus : on ne règlera évidemment pas le problème global de lenfance en difficulté à grands coups de promenades dans les montagnes sahariennes, de même quon ne fera pas un Paradis des quartiers en détresse en emmenant leurs enfants écouter du Malher (même dans les meilleurs fauteuils dun vrai théâtre). Il reste que Résister nous rappelle que, pour verrouillé que prétend être le système en place, il est toujours possible de lutter au quotidien, avec des résultats ponctuels mais tangibles.
Ce livre mérite donc notre attention à (au moins) deux titres : cest un puissant antidote contre la résignation et le découragement ; et cest surtout le rappel, nen déplaise aux idéologues des lois de la jungle ou de l'État, de la puissance de lentraide comme moteur dans une société, même inégalitaire. Quen serait-il alors dans une autre société ?
(1) voir également larticle de Laurent Fouillard : Cest bien dommage de travailler dans la brochure " Analyses et propositions anarchistes sur le travail ", éd. du Monde Libertaire, disponible à la librairie du Monde libertaire (145, rue Amelot, 75011 Paris)
(2) Résister, Ed. de Minuit, disponible également à la librairie du Monde libertaire