Dans le fourre-tout du festival cinquantenaire, annoncé par son délégué général, Gilles Jacob, se sont glissées, autorisées, quelques minutes du poignant et sobre appel : "Nous les sans-papiers de France ".
Tous les réalisateurs français présents à Cannes, s'étaient mis daccord pour que ce film passe avant chacune des projections de leurs films sélectionnés. Promesse tenue pour louverture de la section parallèle "Un certain regard ". Alors que Cannes a organisé les fastes de ses cinquante ans, personne ne sera surpris que ce soit les sans qui volent la vedette aux stars et aux tartes à la crème. Les sans-papiers, les sans-abri, les sans-travail etc. ont, en tous cas engendré les films les plus applaudis du début de ce festival. Marius et Jeannette, dabord, un conte de lEstaque, pas de Pagnol, mais réalisé par Robert Guédiguian, avec ses amis, son actrice et femme préférée Arianne A., Marseille et son quartier de lEstaque, justement. Le public exigeant de Cannes a ovationné en esprit frondeur cette voix qui combat sans trêve, ces femmes et ces hommes debout, malgré tout. On sattache à Marius qui boite pour garder son boulot, à Jeannette et ses deux enfants de pères différents, on jubile des piques envoyées contre le FN, lesprit de conformisme et la bêtise. Moins profond peut-être que son opus précédent, A la vie à la mort, le film pourrait être un grand succès populaire et même commercial. La France des classes sociales, de la diversité et des engagements, de la tendresse et de la solidarité
Sur le même versant dune marge ouvrière populaire métissée sinstalle avec bonheur le "Western " de Manuel Poirier. En deux plans et trois mouvements, un représentant est "sans " voiture, "sans boulot " en deux plans et trois heures plus loin, il sest fait une copine, et démarre un autre "plan ". Du western classique ne subsiste que le format cinématographique, le cinémascope, et lorientation géographique, lOuest. Road movie des plus surprenants, Western déploie devant nous deux êtres humains, deux gars en mal damour, qui finissent tous deux par trouver, pas forcément ce quils cherchaient.
Idrissa Ouedraogo du Burkina Faso travaille avec Kini et Adams la même thématique. Que devient un monde rural et rudimentaire avec larrivée du monde industriel pour lequel personne nest préparé ? Kini et Adams, de grands copains, ont un rêve en commun : retaper une vieille bagnole, partir et se sortir de leur cambrousse sans eau ni électricité. Film tourné en anglais, mais rien de ce que caractérise les films africains de Idrissa Ouedraogo ne passe à la trappe. Son grand sujet, le choix quont les hommes, de se forger leur destin, de ne jamais se soumettre est renouvelé, malgré langlophonie. Des blagues parcourent le film tous azimut et répètent les conflits "un serpent mord un ami au zizi. Seul remède : sucer le venin " Que feriez-vous ? Jusquoù va lamitié ? Réalisateur insoumis, Idrissa Ouedraogo balance à tous ceux qui veulent lenfermer dans le tiroir "cinéma africain " : "Le tigre ne crie pas sa tigritude, il bondit sur sa proie et la mange ! "
Ce nest pas le moindre paradoxe que le film attendu de Johnny Depp "The Brave ", sessaie aussi sur le fil du rasoir de cette problématique. Sidentifiant à la cause des Indiens dAmérique, Johnny Depp émeut quand il montre leur vie misérable entre une décharge et la frontière mexicaine. Mais il se ridiculise, hélas, à tirer trop sur cette ficelle, pillant au passage le film de Jarmush " Dead Man " où sa prestation dacteur lui demandait exactement le même mutisme. Heureusement que la musique dIggy Pop nous fait passer les moments creux, et prétentieux, du film.
Dans la programmation du cinquantenaire, les "découvertes " du Festival sont à l'honneur. On trouve évidemment Roma Citta aperta de Rosselini, mais aussi les Sans espoirs du Hongrois Miklos Jancso. Je vous lavais suggéré Les "sans " tiennent le haut du pavé.