Les militants de la Fédération anarchiste ont tenu leur congrès annuel (le 54e) les 17, 18 et 19 mai à Rennes. Venus de toute la France et de la Belgique, les 170 délégués ont confronté leurs expériences militantes dune année riche en luttes sociales. A part les quelques bonnes blagues dusage au comptoir du bar, le cirque électoral - cet épiphénomène de lactualité sociale - na pas préoccupé les congressistes. Ils ont préféré débattre de la situation économique et sociale et des perspectives quelle offrait au mouvement libertaire.
Malheureusement, ils ont aussi constaté un regain dintérêt pour les idées, les pratiques et le projet anarchiste na pas que des bons côtés : plaintes, procès, attentats, répression accrue contre ceux et celles qui combattent cette société. Enfin, une place importante a été consacrée au futur congrès de lInternationale des Fédérations anarchistes (Lyon, novembre 1997).
Pour notre organisation il sagit de définir une stratégie politique adaptée dune part aux principes fondamentaux qui marquent la spécificité et lancrage de lanarchisme et, dautre part, aux manifestations particulières et aux mécanismes sociétaires :
Mais avant tout, nous devons répondre collectivement et de manière unanime, en tant que militant(e)s de lorganisation politique " Fédération anarchiste " (1) à la question : " Est-il nécessaire de mettre en place une quelconque stratégie globale ? "
En effet, la stratégie nous renvoie explicitement à la science ou lart de combiner les forces qui sont les nôtres, forces qui se trouvent impliquées dans la lutte sociale, afin de (les) (nous) mener à des résultats positifs, voire même à la victoire (2)
La stratégie est donc : action conjuguée, réfléchie et menée collectivement afin de réaliser un but commun défini lui-même collectivement.
La confrontation sociétaire - quelle que soit la nature profonde de cette confrontation - passe par des étapes et des moments quil nest pas bon de subir mais plutôt de maîtriser.
La stratégie aide à approcher cette maîtrise nécessaire au cur de la confrontation.
La tactique, les tactiques devrions-nous écrire, représentent la configuration des moyens employés et des différentes propositions faites en vue dobtenir le maximum defficacité et ce, afin dancrer totalement notre stratégie dans le réel.
Stratégie et tactique (à un degré moindre) semblent donc répondre plus à une nécessité qu'à un besoin marginal.
Sauf à vouloir n'être que des témoins de notre temps, aptes seulement à indiquer à partir de la marge la voie à suivre, nous nous devons de mettre en uvre les grands axes dune stratégie anarchiste de transformation de la société.
Appliquons-nous donc à débattre de certains axes stratégiques fondamentaux :
Il ne sagit pas ici de redéfinir les différentes propositions idéologiques, philosophiques et historiques de lanarchisme en matière danti-étatisme, dantipolitisme, danti-électoralisme ou dantiparlementarisme. Elles représentent notre patrimoine idéologique commun. Elles sont connues de toutes et de tous dans notre organisation et dans les organisations libertaires et les mouvances anti-autoritaires amies.
En revanche, il paraît nécessaire daxer nos efforts dinformation vers lextérieur :
Idéologiquement notre anti-électoralisme doit passer du stade du simple rejet - même explicité - dun système (acte à connotation négative), au stade de la proposition alternative : développement des initiatives " citoyennes " multiples, diversifiées qui assument officiellement en leur sein ce rejet : " Nous pratiquons cette forme alternative de lengagement car nous nous refusons à reproduire un acte dabandon de souveraineté : en loccurrence voter "
Voter un peu cest abdiquer beaucoup ! pourrait savérer être un slogan intéressant qui indiquerait que lindividu se réapproprie sa souveraineté et se remet à " bouger " au moment où il abandonne lacte de voter, acte dabandon par excellence.
Un second point mérite d'être abordé. La propagande diffusée par la classe politique, toutes tendances confondues à gauche, propagande relayée le plus souvent par les médias, voire même les associations dites " citoyennes ", semploie à dénoncer notre abstentionnisme comme étant de nature à favoriser le Front national.
Il nest nullement question dabandonner la plus petite parcelle de nos convictions anarchistes en matière danti-électoralisme. Il est en revanche nécessaire de répondre à nos détracteurs au moyen darguments différents de ceux employés en matière de perte de souveraineté individuelle ou collective.
Il est bon de montrer et de démontrer qu'historiquement, sociologiquement et même culturellement l'électoralisme conduit, par le jeu des alliances et des rapports de force inhérents à ce système, à une impasse : lavènement à terme du totalitarisme politique. Ajoutons que le fascisme, " les " fascismes, se nourrissent de larithmétique politicienne tout en sappuyant sur les déséquilibres sociaux.
Lalternative sociale tant prônée par les anarchistes et par notre fédération doit trouver un ancrage stratégique fort autour dun vaste regroupement, à notre initiative, dindividus et de groupes locaux, régionaux et européens qui proposent de nouvelles formes de vie, sociales et culturelles
Des individus et des groupes qui se regroupent sur la base de revendications intégrant des dimensions de dignité, de solidarité et d'égalité tels que :
La fédération de ces comités représente la véritable alternative fonctionnelle à la gestion administrative social-démocrate actuelle.
Notre organisation doit, dans les circonstances actuelles, offrir le cadre dune perspective antifasciste rupturiste :
La stratégie de notre organisation en matière dantifascisme doit, en tout état de cause :
Nous devons :
Il ne faut pas reconstituer un Front uni des démocrates contre Le Pen, récurrence dans l'histoire dune tradition antifasciste qui na réussi au mieux qu'à faire reculer les échéances de prises du pouvoir, mais jamais na opéré un réel barrage à ce même fascisme, pas même à sa légitimation populaire
Nous devons proposer la fédération du niveau local jusquau niveau européen dune force antifasciste :
Nous avons choisi à dessein ce titre afin de bien établir ce que représente lintervention anarchiste dans le monde du travail dans un premier temps et dans le mouvement ouvrier dans un second temps.
Le monde du travail est une réalité socio-économique évolutive. En revanche cette réalité reproduit depuis lorigine quelques récurrences susceptibles de retenir toute notre attention :
Le mouvement ouvrier réalise le second objectif et tend à regrouper la classe de celles et ceux qui subissent (à des degrés divers) le salariat, l'humiliation du lien de subordination et de lexploitation capitaliste. A tous ceux-là il faut ajouter celles et ceux qui, privés de salaires (les exclus du travail), subissent lexploitation et l'humiliation du capitalisme de manière indirecte et l'humiliation quotidienne de lEtat, garant de la paix sociale bourgeoise.
Le regroupement en syndicats ou bien en collectifs de travailleurs a suscité dans l'histoire (et il en va de même aujourd'hui), lintérêt des anarchistes quant à la forme de la lutte à mener contre lexploitation, contre le capitalisme, contre laliénation et contre lEtat.
Le syndicalisme révolutionnaire de la fin du XIXe siècle (jusquen 1902), représente lapport idéologique et pratique de lanarchisme au mouvement ouvrier révolutionnaire.
Les limites du modèle syndicaliste révolutionnaire sont apparues avec le dévoiement des idées dorigine.
" Tout le pouvoir aux syndicats " (3) a même remplacé un temps " Tout le pouvoir au parti " noffrant ainsi aux travailleurs révolutionnaires quune seule perspective : débattre uniquement des rôles respectifs des uns et des autres mais ne permettant aucunement de résoudre la quadrature du cercle : la gestion dune société communiste libertaire une fois la révolution en marche
Lexpérience historique est là pour nous rappeler, si besoin était, que la lutte contre linfluence anarchiste dans le mouvement ouvrier a profité aux étatistes - social-démocrates de tous ordres - et a été facilité entre 1918 et 1926 (4) - et même ultérieurement - par une fraction d'hommes se réclamant du syndicalisme révolutionnaire, mais peu enclins à défendre une société communiste libertaire, anarchiste
Le communisme libertaire, qui sintéresse aux divers aspects de la vie en société aborde de manière globale la lutte révolutionnaire.
La fédération intelligente et opérationnelle de ces deux entités étroitement imbriquées peut éviter les déviations auxquelles ont abouti la plupart des parenthèses " révolutionnaires " opérées par le haut : Russie, Cuba (5), Chine, etc.
A partir de ces éléments, la Fédération anarchiste doit développer une stratégie pluri-directionnelle dinvestissement du mouvement ouvrier (travailleurs et chômeurs compris).
Les anarchistes ont de ce fait une place centrale dans le combat ouvrier !
Nous devons :
(1) Et non Fédération " des " anarchiste(s)
(2) De quelle victoire peut-il sagir ? Peut-être celle qui consisterait à aider les individus à se passer des " professionnels " de la politique
(3) La Révolution prolétarienne n° 168 et 169 - février 1934
(4) Création par P. Besnard de la C.G.T.-S.R.
(5) Il sagit de pays ou de régions du monde dans lesquels le système a changé (ça ne concerne pas lUkraine de 1917-1921 ou lEspagne de 1936-37)