Après les Idées Révolutionnaires et les Confessions dun révolutionnaire, voici donc la nouvelle édition du Principe fédératif. En 1858, condamné une nouvelle fois à la prison, Proudhon préfère sexiler en Belgique. Malgré deux amnisties (dont une personnelle), il refuse de rentrer en France. Il ne veut rien devoir à Napoléon III. En 1861, publie La guerre et la paix (1) qui provoque un tollé quasi-général. Nous y reviendrons lors de sa publication.
En ces mêmes années, lItalie prépare sa révolution. LItalie est alors divisée en plusieurs petits royaumes et le nord est sous domination autrichienne. Mazzini et Garibaldi (soutenus par la gauche française) prônent une révolution nationaliste et unificatrice du pays : se débarrasser du joug autrichien et instaurer un gouvernement républicain unique sur toute la péninsule. Si, dans un premier temps, la république nest pas réalisable, ils acceptent la souveraineté du roi du Piémont, Victor-Emmanuel ; limportant à leurs yeux étant lunité du pays.
Victor-Emmanuel sallie à lempereur français Napoléon III pour chasser les autrichiens (1859). Mais, au grand dam des révolutionnaires, ce dernier souhaite imposer une fédération de lItalie placée sous la présidence honoraire du pape dont les États seraient extrêmement réduits.
A la grande surprise de ses contemporains, Proudhon prend fait et cause pour la solution fédéraliste et condamne lunification comme réactionnaire.
Comprenons bien la situation : Proudhon est alors considéré par beaucoup comme étant le grand théoricien de la Révolution et, malgré ses attaques incessantes, comme un représentant de gauche. Or, la gauche est pour lunité ; la droite (cléricaux et bonapartistes) pour la fédération.
Dans deux articles (2), Proudhon condamne le principe des nationalités et explique que, si lunité de langue justifie lunité de gouvernement, Napoléon III est en danger dannexer la Belgique. Les textes (pourtant tout à fait clairs) sont-ils mal compris ? Une campagne dénonce Proudhon comme partisan de lannexion, des manifestations sont organisées sous ses fenêtres ; il est obligé de senfuir et de regagner précipitamment la France.
Il décide alors de résumer son programme dans un joli pamphlet de soixante pages au plus (3) qui deviendra le Principe fédératif.
Une quinzaine de jours après sa sortie, six mille volumes avaient été enlevés. Littérairement, ce nest sans doute pas le meilleur qui soit sorti de la plume de Proudhon. On y rencontre, selon lavis même de lauteur, des " lacunes, des bosses, des méplats, des solutions de continuité " (4). La partie purement théorique est sans doute trop abstraite ; les digressions historiques trop sommaires (et parfois discutables) ; les polémiques avec la presse de l'époque alourdissent louvrage (dautant plus pour le lecteur daujourd'hui ).
En un mot, le Principe nest pas louvrage de synthèse que Proudhon avait annoncé à plusieurs reprises et quil naura pas le temps de rédiger.
Il nen reste pas moins que ce livre est le premier - et demeure le principal - de ceux qui ont envisagé le fédéralisme non pas seulement comme un dépassement des souverainetés, mais comme principe général, global et révolutionnaire, dorganisation des sociétés.
Cest ainsi que Proudhon, après avoir reconnu les faiblesses de son travail, a parfaitement le droit daffirmer : " Je viens enfin de terminer une véritable exposition philosophique du principe fédératif, une des choses les plus fortes et les plus neuves que jaie produites " (5).
Dès le premier chapitre, il nous explique que lordre politique repose fondamentalement sur deux principes contraires, lAutorité et la Liberté.
Les deux principaux régimes dont le principe est lAutorité sont la royauté (impérialisme ou fascisme), et le communisme.
Les deux principaux régimes dont le principe est la liberté sont la démocratie et lanarchie.
Aucun de ces régimes ne se réalise totalement, une société, quelle quelle soit, étant toujours imparfaite.
Il demeure donc des espaces de liberté dans les régimes dautorité. Il demeure des espaces dautorité dans les régimes de liberté.
Aucune société ne pouvant être totalement autoritaire, pas plus que totalement libertaire, lobjet de la Révolution (6) est de progresser vers un maximum de liberté dans un minimum dorganisation coercitive. Elle y arrive par la pratique la plus généralisée possible du contrat synallagmatique et commutatif (7) qui émane directement de laccord des libertés individuelles (8).
Ainsi, le but de la Révolution ne peut être que lanarchie, cest-à-dire la liberté totale des différentes composantes sociales, individus et être collectifs. Cependant, cette revendication de liberté totale ne doit pas être considérée comme un rêve - encore moins une utopie (9) - mais plutôt comme une idée-force qui doit guider les forces sociales pour accomplir les révolutions nécessaires à leur progression perpétuelle vers cet idéal.
Lanarchie est la revendication permanente de la liberté contre une autorité que lon ne peut jamais éliminer tout à fait et qui tend à tout ramener à elle.
" Si en 1840 (10), jai débuté par lanarchie, conclusion de ma critique de lidée gouvernementale, cest que je devais finir par la fédération, base nécessaire du droit des gens européens, et, plus tard, de lorganisation de tous les Etats Lordre public reposant directement sur la liberté et la conscience du citoyen, lanarchie, se trouve être le corrélatif de la plus haute vertu sociale, et, partant, lidéal du gouvernement humain Notre LOI est de marcher dans cette direction, de nous approcher sans cesse du but ; et cest ainsi que je soutiens le principe de la fédération " (11).
Du principe fédératif - 1 volume 288 pages - 117 F. En vente à la librairie du Monde libertaire.
(1) La guerre et la paix (2 volumes) - Réédition prévue pour février 1998, après celle de Quest-ce que la propriété ? prévue pour octobre 1997
(2) Ces articles constitueront le corps du livre La fédération et lunité en Italie
(3) Lettre à Buzon, 31 janvier 1863
(4) Lettre à Buzon, 31 janvier 1863
(5) Lettre à Bergman, 12 février 1863
(6) " Les révolutions sont les manifestations successives de la Justice dans l'humanité. Cest pour cela que toute révolution a son point de départ dans une révolution antérieure. Qui dit donc révolution dit nécessairement progrès, dit par là même conservation. Doù il suit que la révolution est en permanence dans l'histoire, et qu'à proprement parler il ny a pas eu plusieurs révolutions, il ny a quune seule et même et perpétuelle révolution " Toast à la Révolution dans Idées révolutionnaires.
(7) Voir le Principe fédératif chap. VII
(8) Nous ninsisterons jamais assez sur la notion dindividualité qui regroupe chez Proudhon aussi bien les êtres humains que les collectivités considérées comme des individus collectifs réels.
(9) Par utopie, nous entendons société parfaite imaginée et décrite par un ou des individus. La notion dutopie nest donc pas simplement condamnée parce quimpossible à réaliser mais également et peut-être surtout parce que schéma détaillé de société de quelques-uns voudraient imposer. Lutopie est donc, quels que soient les bons sentiments qui animent son auteur, une notion dictatoriale.
(10) Dans Quest-ce que la propriété ?
(11) Lettre à Millet, 2 novembre 1862