Depuis plusieurs semaines cette reculade était attendue : le rapport Weil lannonçait clairement. Le 21 août, Jospin la officialisé publiquement : le gouvernement nabrogera pas les lois Pasqua et Debré. Une nouvelle fois la gauche bafoue ses promesses électorales. Mais celles-ci restant souvent superficielles et de pure forme, limitées au petit jeu politicien. Malgré les rotomontades des Verts, lunion de la gauche ne risque pas den sortir ébranlée.
Face aux critiques, le gouvernement assure quon lui fait un mauvais procès, un simple " problème de mots ". Toutes les dispositions " contraires aux principes de la République et aux droits des personnes " seraient effectivement abrogées. Quen est-il réellement ?
Deux textes de loi sont en préparation : lun sur lentrée et le séjour des étrangers, lautre sur le code de la nationalité. Pour le premier, un avant-projet de loi a été présenté par Chevènement le 25 août. En sefforçant de l'étudier précisément, on se rend rapidement compte que le gouvernement nous prend pour des imbéciles.
Chevènement propose de supprimer des tracasseries administratives inutiles et vexatoires mais conserve la plupart des dispositions répressives qui donnent leur " logique " aux lois Pasqua et Debré. Pis, cet avant-projet de loi les durcit considérablement dans certains domaines. Pour illustrer clairement la véritable nature de cette " nouvelle " (sic) politique de limmigration, nous avons choisi de présenter les dispositions du projet Chevènement dans deux domaines qui nous paraissent très sensibles : les expulsions et la double peine.
27 % des décisions de reconduite à la frontière ont été exécutées en 1986. Pour lEtat, cest le principal indicateur permettant de mesurer lefficacité de la lutte contre limmigration irrégulière. Au grand désespoir de tous les xénophobes, ce taux stagne.
Evidemment, l'étranger menacé dexpulsion sefforce de rester introuvable. Toujours aussi peu coopératif, il fait souvent disparaître ses papiers et refuse de décliner son identité, sa nationalité. Parfois, il arrive même que l'étranger se débatte en montant dans lavion et que le commandant refuse son embarquement.
Bref, depuis des années, les différents gouvernements sefforcent continuellement de " perfectionner " le système. En 1993, Pasqua avait porté la durée maximale de rétention administrative de 7 à 10 jours, se donnant ainsi plus de temps pour organiser lexpulsion.
Après avoir pensé à une nouvelle prolongation de ce délai pour reculer finalement par crainte dune censure du conseil constitutionnel, Debré a fait passer de vingt-quatre à quarante-huit heures le délai dans lequel les préfectures sont dans lobligation de saisir le juge pour obtenir le maintien dun étranger en rétention. Pour le ministère de lIntérieur, cette disposition permet de retarder lintervention de juges considérés comme trop à cheval sur la régularité de la procédure
Dans la quête dun idéal inaccessible, celui dune absolue perfection répressive, Chevènement continue vaillamment l'uvre de ses illustres prédécesseurs.
Selon des estimations du ministère de lIntérieur, linnovation de Debré devrait permettre dexpulser, avant même la saisine du juge 10 à 15 % des étrangers interpellés, ceux qui sont en possession de leurs papiers didentité. Bien évidemment, Chevènement ne touche pas dans son avant-projet de loi à cette disposition expéditive et " efficace ".
Où Debré a reculé, il ne sera pas dit que Chevènement naura pas essayé. Bravant le possible désaveu du conseil constiitutionnel, notre patriote ministre souhaite porter la durée maximale de rétention de 10 à 14 jours.
Les étrangers en situation régulière, condamnés à une peine de au moins un an de prison ferme, peuvent de surcroît subir une peine supplémentaire, linterdiction du territoire : cest ce quon appelle la double peine, instaurée par Pasqua en 1986. Pour les infractions à la législation sur les stupéfiants, la loi est encore plus cruelle : l'étranger interpellé en possession dune seule barrette de cannabis peut faire lobjet dune interdiction du territoire.
Pratique de " bannissement " qui provoque de nombreux drames individuels, la double peine est une illustration concrète de la préférence nationale prônée par Le Pen.
A la suite de mobilisations, des catégories d'étrangers protégés contre ce dispositif avaient été introduites en 1991. Mais dès 1993, Pasqua les avait supprimées (sauf celle des mineurs). Dans une circulaire de février 1994, Pasqua demandait simplement aux juges de motiver spécialement leurs décisions pour certaines catégories d'étrangers.
Dans son avant-projet de loi, Chevènement ne change réellement rien au dispositif antérieur hérité de Pasqua. Pis : pour " séparer les délinquants des simples irréguliers ", il propose de créer une nouvelle forme de rétention judiciaire. Pour se donner le temps dorganiser lexpulsion, les étrangers condamnés se verraient maintenus en rétention pour une durée de un mois, qui viendrait ainsi sajouter à la peine demprisonnement.
En effet, le ministre de lIntérieur se lamente : seuls 50 % des " éloignements de délinquants " prononcés sont exécutés à la sortie de prison. Quel échec pour notre chère République ! Ne reculant devant rien, Chevènement souhaite donc introduire une triple peine : prison, rétention, éloignement
Dans les pages du Monde libertaire, dautres articles ne manqueront pas pour compléter celui-ci. Devant être discutée au parlement en octobre, la loi Chevènement sera certainement le feuilleton politique de lautomne.
Au-delà de labrogation des lois Pasqua-Debré, la mobilisation contre cette future loi se verra dans lobligation, pour être politiquement conséquente, daffirmer que la volonté d'ériger une véritable forteresse pour tenter de contrôler, dailleurs sans succès, les flux migratoires conduit la société française vers une impasse xénophobe et liberticide.
Défendre le principe de libre circulation des individus nest pas un principe libéral, contrairement à ce que prétend Chevènement. Rejetant le capitalisme et lEtat, nous affirmons que la libre circulation est la seule manière de rejeter la préférence nationale. Pour avoir un sens, l'égalité des droits doit sappliquer à tous.