Le Maréchal Mobutu est mort, enfin, ne survivant que quelques mois à celui qui fut l'éminence grise de la politique africaine de la France durant la Ve République, lami des barbouzes, Jacques Foccart. Après plus dune vingtaine dannées de règne à la tête de la République du Zaïre, le " Timonier " (1) dût fuir pour échapper à lavancée des troupes rebelles de Laurent-Désiré Kabila. Protégé par la France, il sen est allé finir ses jours à Rabat chez un autre massacreur de talent : Hassan II. Avec ce décès, l'État français perd un de ses alliés de choix dans une région, lAfrique centrale, secouée depuis une poignée dannées par des secousses politiques dun grand intérêt.
Le " Génie de Gbadolite " a fait de lanticommunisme son fond de commerce. dans les années soixante, cest lui qui écarte du pouvoir le nationaliste marxisant Patrice Lumumba et mène une guerre sans merci à sa guérilla dans laquelle officie Kabila. Lenjeu est de taille : il sagit du contrôle de la plus riche des provinces zaïroises, le Katanga, qui regorge de minerais divers et variés. Sa prise de pouvoir, qui s'étale de 1961 à 1965, rassure à la fois les intérêts belges, omniprésents dans le pays, et la diplomatie américaine qui redoute que le Zaïre ne tombe aux mains des pro-communistes.
Des années soixante à nos jours, le " Guide " restera un allié fidèle mais difficile (car peu fréquentable et souvent incontrôlable) des intérêts belges et français. Ces derniers lui sauveront la mise plus dune fois, lorsque, par exemple, les gendarmes katangais tenteront une nouvelle fois de reprendre le contrôle du sud du pays. Parallèlement, il a permis durant des années aux forces de lUNITA de se servir du Zaïre comme dune base arrière pour leurs raids contre l'État " socialiste " angolais.
Délégitimé, montré du doigt pour la violence avec laquelle il réprime les opposants, le " Président-soleil " connaît des années 90 difficiles jusquau génocide des Tutsis rwandais, où là l'État français le réintroduit sur la scène diplomatique internationale : dun côté, le maréchal à toque de léopard " accueille " dans des camps de lest des centaines de milliers de réfugiés hutus rwandais contrôlés par les anciennes forces armées et leurs hommes de main ; de lautre, il " positionne " ces derniers en vue dune reconquête du Rwanda. Les États-Unis ayant choisi leur camp (celui des Tutsis anglophones), " lintelligence suprême " ne pouvait alors se vendre qu'à l'État français, pressé de stopper l'hémorragie (perte du Rwanda, du Burundi ) fragilisant son pré-carré.
Décrire le Zaïre daujourd'hui fait froid dans le dos : le système éducatif a rendu l'âme, les services sociaux sont moribonds, la plupart des gens vivent dexpédients et de l'économie dite " informelle " et lappareil productif, lui-même, ne fonctionne plus qu'à 15 à 20 % de son potentiel, quand il fonctionne.
A cela plusieurs raisons. " Tata mokonzi " (papa-chef) et sa clique ont copieusement pillé les richesses du pays. L'État contrôlant tous les circuits dexportation, ceux qui en sont à la tête ponctionnent régulièrement dans cette manne sans pour autant réinvestir cet argent dans lappareil productif. Cest dailleurs ce qui distingue la classe dominante dAfrique noire de celle dAsie : tandis que la première se comporte en rentière, la seconde a une conception productive de l'économie prébendière. Lintervention du Fond monétaire international à la fin des années 70 ne changera rien au problème : le pillage continuera de plus belle, et ce seront les secteurs non producteurs de biens (éducation, santé ) qui seront priés de se serrer la ceinture !
Après quelques décennies de ce régime là, et la crise économique en plus, il nest guère étonnant de retrouver un État zaïrois en banqueroute, endetté jusquau cou, incapable de payer une fonction publique pléthorique, y compris même ses militaires qui, alors, se paient sur la population.
Dans la plupart des pays africains, lenrichissement illicite, le népotisme " sont bel et bien sous-tendus par des valeurs sociales positives, à savoir la nécessité dutiliser toute opportunité qui permette de manifester ces vertus cardinales qui sont la générosité, la largesse, la reconnaissance. " (2). En dautres termes, on peut piller si lon redistribue. Comme, à ce phénomène, sajoute l'équation suivante " accès au pouvoir politique = accès aux richesses ", on comprend mieux la longévité de nombre de dictateurs africains. Ladhésion au parti-État (ici le Mouvement populaire de la révolution) est un moyen de promotion sociale important, et Mobutu, comme beaucoup dautres, a su admirablement sattacher une clientèle avide de richesses à défaut d'éthique. Et quand est venu le temps de " démocratiser " le pays, là encore, Mobutu a su sacheter des alliés qui, dans leur immense majorité, de près ou de loin, avaient " tapé " dans la caisse précédemment (3).
Pour beaucoup dobservateurs, la transition démocratique zaïroise a été de pure façade. Les règlements de comptes navaient pas pour fond de belles querelles idéologiques mais bien plutôt une lutte âpre de position au sein du pouvoir politique, seule possibilité pour garnir son compte en banque et contrôler tous les trafics et ce, avec la bénédiction de certains réseaux étrangers (belges, français, libanais ).
La fin de l'ère Mobutu laisse donc une classe politique délégitimée et en plein désarroi, qui ve devoir certainement sexiler, faire allégeance au nouveau pouvoir ou apprendre à partager le gâteau !
On comprend mieux, dès lors, lextrême facilité avec laquelle les troupes rebelles ont conquis le pays. Armées, motivées, encadrées, elles ont fait fuir une armée zaïroise en pleine débandade, spécialiste du pillage et de lexécution sommaire : le rigorisme moral affiché par les rebelles ne pouvait que trouver un écho favorable auprès de la population dans le plus grand dénuement et écurée par la corruption de la classe politique zaïroise. Reste à savoir si le mobutisme (autoritarisme, vénalité, culte de la personnalité ) nest pas en mesure de survivre à la mort de son géniteur ! Massacrant des milliers de réfugiés hutus, instaurant un régime de parti unique, Kabila a déjà démontré son caractère peu fréquentable.
(1) Mobutu ayant une haute estime de sa personne, lui et sa cour développèrent dans le pays un culte de la personnalité assez extraordinaire. Nous utiliserons au cours de cet article quelques-uns de ses " surnoms ".
(2) Olivier de Sardan, L'économie morale de la corruption en Afrique, in Politique africaine n° 63 (octobre 1996).
(3) Voir à ce sujet le livre dEdi Angulu Adieu Mobutu (DS Édition, 1991) qui raconte les trajectoires hallucinantes de certains politiciens zaïrois. Edi Angulu est aujourd'hui ministre du tourisme et de lenvironnement.