La mise sous conditions de ressources des allocations familiales a bénéficié dune large publicité. Volontairement, le gouvernement a mis cette mesure en avant, depuis plusieurs mois, comme un gage clair dune politique ancrée à gauche. Une majorité de lopinion semble dailleurs y être favorable. Enfin la protection sociale serait dorénavant réservée à ceux qui en ont réellement besoin !
A première vue, cette décision pourrait nous apparaître comme allant dans le bon sens. Et cela dautant plus que la politique nataliste nest pas vraiment notre tasse de thé. Défiler aux côtés des villiéristes et autres curetons défenseurs de la famille nest heureusement pas près de nous arriver. Sous le rideau dune politique prétendument sociale, elle sinscrit parfaitement dans le vaste chantier visant à démanteler lensemble du système de protection sociale.
Lidée de plafonnement étant ainsi acceptée, il vient immédiatement à lesprit que ce plafond pourrait être abaissé dans quelques années. Mais même en l'état, il y a quelque hypocrisie à faire passer les ménages disposant de 25 000 francs de revenus mensuels pour de coupables privilégiés, dans un monde où la fortune des 358 personnes les plus riches représente l'équivalent du revenu annuel des 2,3 milliards dindividus les plus pauvres.
Plus fondamentalement, le plafonnement illustre la substitution de la notion d'équité à celle d'égalité. Le principe dune couverture égale de tous en fonction des moyens de chacun est ici bafouée. Cet objectif duniversalité sappuyait sur deux moyens : la proportionnalité des cotisations et l'égalité de la redistribution.
Prochaine étape déjà certainement programmée, l'équité produira ses ravages dans la branche maladie. Déjà, Alain Minc, héraut du libéralisme, affirme quil faut cesser de traiter de la même manière " le rhume attrapé par un cadre dirigeant sur les pistes de Courchevel et la pleurésie dun enfant dexclu à Aubervilliers ". Sournoisement, Minc veut ainsi faire pleurer dans les chaumières pour faire accepter le démantèlement de la sécu. Le cadre dirigeant aurait alors les moyens de se payer une assurance privée et de bénéficier des meilleurs soins. Pendant ce temps, lenfant dexclu aurait la " chance " de se voir offrir une assistance médicale dans des hôpitaux de troisième zone où les pauvres seraient inévitablement relégués.
Sur le chantier de l'équité, les États-Unis ont plusieurs longueurs davance. On a commencé par y retirer aux classes moyennes laccès de certains services. Ceux-ci ont été réservés progressivement aux plus défavorisés. Puis, les politiques ont soudain multiplié les " découvertes " de " fraudes, gâchis et abus " : ces pauvres évidemment " irresponsables " qui procréent pour toucher les allocations En 1996, les classes moyennes, qui nen bénéficient plus, ne se sont pas outre mesure alarmées de la suppression de ces aides.
Nos dirigeants nous préparent un avenir radieux. Soyons vigilants.