Lors du passage à Nîmes dAbabacar Diop le 17 septembre, le Monde libertaire la rencontré afin de recueillir ses impressions densemble concernant lactualité de cette lutte qui continue à mobiliser même si de nombreuses personnes pensent à tort que la question a été résolue par la gauche au pouvoir. Il va de soi que les prises de position exprimées ici nengagent que leur auteur, un des porte-parole des sans-papiers de Saint-Bernard.
M.L. : Un an après, quest-ce qui a changé pour les sans papiers de Saint Bernard ?
Ababacar Diop : A ce jour, sur 312 personnes regroupées dans le collectif, 150 ont reçu des titres de séjour provisoire. Rappelons que 30 personnes ont été expulsées vers leur pays dorigine (Mali, Sénégal, Guinée ). Enfin, il reste une centaine de personnes, regroupées au 32 rue du Faubourg-Poissonnière dans le dixième arrondissement, qui attendent toujours davoir des papiers.
M.L. : Quels sont les sentiments des sans papiers de Saint-Bernard sur le rapport Weil remis à Jospin et sur lavant-projet de loi Chevènement ?
A.D. : En ce moment, les sans-papiers sont préoccupés par leur régularisation. Ce qui les intéresse à priori, cest le fait davoir des papiers le plus rapidement possible : la lutte commence à durer depuis longtemps. Par rapport aux deux événements que constituent le rapport Weil et lavant-projet Debré, euh Chevènement - cest assez révélateur comme lapsus ! -. Le rapport Weil a été élaboré en deux mois. Ce nest pas suffisant. Si vraiment on voulait se donner les moyens d'élaborer une politique dimmigration cohérente, on prendrait le temps de la concertation avec les immigrés, avec les associations de défense des droits de l'homme en France, avec nos pays dorigine pour essayer de voir quel est le nouvel élan que lon pourrait donner à la coopération entre pays. Donc cela a été bâclé et jen veux pour preuve la volonté de faire passer la durée de rétention de 10 à 15 jours. Ensuite, bien sûr, il y a des éléments positifs comme le fait daccorder le droit dasile aux " combattants de la liberté ", de revenir au droit du sol, dadoucir les conditions du regroupement familial, et enfin de donner des visas aux chercheurs et aux étudiants. Mais cette dernière mesure cache mal la sélection quil pourrait y avoir entre demandeurs de visas : le pauvre péquenot du Sénégal qui vient se balader ou voir ses parents en France aura du mal à avoir des visas par rapport au chercheur réputé. Donc, dune part, il y a des bons points et de lautre des aspects négatifs. De manière globale, on peut dire que le rapport Weil ne rompt pas avec la logique sécuritaire du précédent gouvernement. La deuxième chose, cest que dans lavant-projet Chevènement, il ny a rien qui puisse permettre aujourd'hui de dire que les lois Pasqua-Debré seront abrogées, sinon de reconnaître que le droit du sol va être réintroduit. Cela ne veut pas dire quun prochain gouvernement ne reviendra pas dessus.
M.L. : Quel est l'état desprit des sans-papiers que tu as pu rencontrer ?
A.D. : Il est le suivant : tant quon nest pas tous, je dis bien tous, régularisés, le collectif de Saint-Bernard va demeurer pour obtenir la régularisation de tous ses membres. Il va de soi que nous sommes solidaires de tous les sans-papiers. Le principe de dire que des papiers pour tous ce nest pas acceptable, ce que dit souvent Chevènement, est un faux problème : ce qui est intéressant de noter, cest que les sans-papiers ont été les victimes des lois de la République. Le gouvernement socialiste a hérité de ce dossier et il doit tout faire pour que cela cesse et que tous les sans- papiers soient régularisés. Sil ne le fait pas, les sans-papiers que nous avons rencontrés, et qui chaque jour nous demandent conseil, se battront jusquau bout.
M.L. : Quel est l'état desprit des différents réseaux de lutte et de soutien aux sans papiers ?
A.D. : Nous avons constaté que même le collectif de soutien de Nîmes, qui était fort, se trouve réduit aujourd'hui à dix membres. Cela veut dire certainement que, dans lesprit du public, cest gagné : la gauche est revenue au pouvoir donc on reste tranquille. Mais les manifs qui ont eu lieu à Paris les 19 et 20 septembre, organisées par le collectif des signataires pour labrogation des lois Pasqua-Debré, montrent que les gens commencent à reprendre conscience du fait que rien nest gagné, quil faut continuer à se battre, à se mobiliser pour forcer le gouvernement à respecter ses engagements.
M.L. : Donc, pour toi, le mot dordre " des papiers pour tous " et une régularisation globale des sans papiers en France sont des objectifs réalistes ?
A.D. : Réalistes, oui, car peut-on faire nous-même une sélection entre bons et mauvais sans-papiers ? Donc, nous considérons que ce que nous avons vécu comme galères, il nest pas acceptable que dautres personnes les vivent.
M.L. : Pour finir, quels sont tes sentiments sur les promesses non tenues dabrogation des lois Pasqua-Debré ?
A.D. : Le fait que je ne veuille pas devenir un politicien veut tout dire. Si demain je faisais des promesses à mes électeurs, jaurai à cur de les tenir. Donc je pense que ce qui est en train de se passer est assez révélateur du fait que lorsquon cherche à arriver au sommet, on sengage à tout et on ne fait rien quand on y est.