Nous avons eu loccasion dassister à une navrante exhibition d'états d'âme, lorsquun chauffeur éthylique, un riche jeune homme et sa non moins riche princesse ont vu la continuation de leurs existences contrariée par un pilier sur les voies expresses. Quimportent les causes de laccident, l'histoire nen retiendra probablement que lanecdotique course poursuite de la princesse lapin par les paparazis chasseurs dans laffolante moiteur de la nuit parisienne. On raconte même dans les salons de thé que des photos de l'horrible carnage traîneraient de ci de là sur lInternet Quelle honte, ma brave dame !
Dans les jours qui suivirent, nous eûmes droit aux journaux, livres et funérailles en mondiovision. Une façon comme une autre de se racheter pour les affreux journaleux qui avaient assassiné la " princesse des pauvres ". Il est dommage que Coluche aussi ait péri sur le bitume, il pourrait ajouter à son ministre, une princesse comme victime de la presse. Et lon en vient à regretter que Léon Zitrone nous ait quitté aussi : à quel beau commentaire de la course avons-nous échappé ? Symphonique sans doute ; mais cessons de persifler.
Pourquoi la mort de Diana a-t-elle suscité tant d'émois ? A qui profite le crime ?
A la presse, pour commencer, sans laquelle des individus tels que la princesse ne signifieraient rien.
Aux spectateurs du spectacle médiatique qui trouvent dans le mythe " Lady Di " une échappatoire simple à la condition humaine.
Aux annonceurs qui sont certains que les regards sarrêteront sur les pages où le sang s'étale et, incidemment, sur leurs publicités débilitantes et impudiques. Jignore si vous réagissez comme je le fais mais lorsque je réfléchis au prix des bagnoles ou aux tarifs annuels des abonnements aux téléphones cellulaires et que des craignos encravatés me susurrent que ce nest vraiment pas cher, jai des bouffées de colère qui montent.
Si nous prenons le temps de regarder un journal en tant quobjet, sans tenir compte du contenu rédactionnel à proprement parler, force nous est faite de constater que presque tous, au delà des couleurs politiques ou confessionnelles, sont pensés, conçus, réalisés pour nous séduire, nous faire " baisser la garde ", nous convaincre que le paraître lemporte incontestablement sur l'être et, finalement nous amener au geste majeur, celui qui nous différencie des ploucs, le geste de lacheteur qui tapote son numéro de carte bancaire, signe un chèque ou ramasse sa monnaie.
Souvent, à la lecture dun magazine, je ne parviens pas à savoir si le génie du secrétaire de rédaction a su faire tenir une publicité à côté de larticle adéquat ou si, pensée bien plus inquiétante, le choix de cet article a été dicté par la présence de la publicité sur cette même page. Tirant personnellement une partie de mes revenus de lart de faire passer le message publicitaire en douceur, je sais que souvent, hélas, cest la deuxième explication qui prévaut. Cependant, il marrive encore despérer quil nen va pas partout et toujours de même.
Même le scrountchissime courrier des lecteurs est aujourd'hui assimilable à de la publicité. Que celle-ci soit commerciale ou non importe peu. La règle dor est la normalisation. Les altérités doivent être gommées et pour cela, conservons le spectateur passif en lui donnant, non pas de linformation, mais ce quil sait déjà sous une forme nouvelle. Lacte de réflexion évacué, le légume lecteur, auditeur ou spectateur est capturé et peut gober la soupe que nous lui concoctons.
Le vice est tellement intégré dans les coutumes que même les plus " révolutionnaires " dentre nous y sombrent occasionnellement.
Prenons lexemple du Monde libertaire. Son objectif nest pas de vous vendre des produits mais de vous faire partager la pensée des anarchistes. A cette fin, les militants qui constituent le Comité de rédaction sont amenés, chaque semaine, à choisir les sujets qui seront traités dans ces huit pages, à retenir ou, au contraire, à rejeter des articles en fonction de lactualité du moment. À des exceptions près, la une du journal est liée à un point que lectrices et lecteurs sattendent à voir traité et il nest pas rare lors des ventes à la criée dentendre des passants nous demander avec étonnement pourquoi un " événement " ne figurait ni en une, ni dans les accroches de une.
Alors que nous voudrions distiller la liberté, nous nous heurtons encore aux vieux démons. La question de savoir si une contribution intéressera ou pas les destinataires du message pollue encore trop nos esprits.
Cela pour dire que nul journal n'échappe à une certaine forme de clientélisme, car cest dans la nature de la presse traditionnelle. Cest un mal structurel et incurable si lon ne sextrait pas de la forme classique de diffusion de linformation.
Les auteurs partagent avec les spectateurs lillusion quun organe de presse, cest comme ça que cela fonctionne et quil ne peut en être autrement. Ont-ils raison ? Nexiste-t-il pas des outils qui permettent de briser le fatum médiatique ? Reste-t-il une place pour Prométhé ?
Si nous nous cantonnons aux outils traditionnels, nécessitant des émetteurs dune part, et des récepteurs à lautre extrémité du circuit, la réponse à toutes ces question est négative et le restera indéfiniment.
Mais nous pouvons aussi reconsidérer danciennes méthodes de diffusion de linformation en les rajeunissant. Et cest précisément ce quont commencé à faire un petit nombre dindividus. Ils ont réinventé, grâce au confort technologique de cette fin de millénaire, le médium le plus puissant et le moins contrôlable : la correspondance.
Partout, les télécopieurs, les téléphones, les câbles de lInternet viennent bouleverser le jeu, libérant la diffusion de linformation de lemprise du petit dénominateur commun.
Rompant avec les pratiques usuelles, des femmes et des hommes échangent des informations - " grandes " ou " petites " - sans se soucier de préséance ou defficacité. Par le simple fait que linformation est offerte à la libre consultation de chacun et que tous peuvent être diffuseurs, récepteurs et commentateurs, on peut affirmer, sans exagération, que quelque chose se met en place qui va modifier radicalement le paysage médiatique auquel nous étions habitués. Nous allons nous affranchir de lobjectivité, cet outil de normalisation imbécile, et goûter les joies de la subjectivité, autrement dit de laffirmation de notre existence individuelle. L'heure des garçons sauvages sonne enfin et cela grâce aux outils de ladversaire, délice des délices !
Et tant pis si quelques inconvénients perturbent nos vies pendant la phase de transformation et si certains dentre nous perdent leur " gagne-pain ". Ne plus avoir à subir lamertume de certains bulletins de salaire compensera largement le préjudice " social ".