Chahine est le cinéaste arabe vivant le plus important. Il sait tout faire. Des péplums avec des bouts de ficelle, des comédies musicales sans orchestre, des épopées anciennes au casting surprenant. Ainsi, Michel Piccoli campe Abraham, le patriarche, dans L'Émigré, son film précédent, interdit durant plusieurs mois en Égypte, conspué et mis en pièce par les docteurs en islam du Caire. Dans ce contexte, le prix du cinquantième festival de Cannes, attribué au Destin, prend tout son sens. On ne peut interdire de la même manière une uvre primée et acclamée à Cannes qui a déjà été vendue dans le monde entier.
Le Destin conte des épisodes de la vie du philosophe Averroes, Ibn Roshd pour les Arabes, pendant lapogée de lempire arabo-andalou. Juge à Cordoue, Averroes est tombé en disgrâce. Il est condamné à lexil et ses livres sont brûlés. Chahine ne raconte pas seulement une péripétie de la vie de cet homme, penseur averti, ami des pauvres. Sa pensée établit, et cest une première en Occident, quil y a plusieurs chemins pour arriver à la raison, à la pensée et pourquoi pas, à la révélation. Hérésie absolue pour un pouvoir central qui nen a rien à faire de ce défenseur de la liberté de penser. Car le film travaille - évidemment avec les moyens du cinéma - pour la tolérance, la différence, lacceptation de lautre. Il le fait dans la joie, lexubérance, autour dune bonne table, avec de la bonne musique. Ainsi va-t-on assister à la rééducation dun jeune homme par la musique, la danse et lamour, alors quune secte lavait attiré dans ses rangs, lavait endoctriné et fanatisé. Si le film semble naïf dans ses moyens, simple dans sa démonstration, il dégage un tel élan
On sent Chahine indomptable, irrécupérable et tout à fait convaincant dans laffirmation dune idée aussi simple que percutante : les idées sont libres, on ne peut les enfermer.