Lopacité du drame algérien
Nous avons rencontré un journaliste dun grand quotidien algérien et nous lui
avons demandé d'écrire pour nous un article. Il na accepté que sous la condition
quil le signe dun pseudonyme pour des raisons impératives de sécurité. Tout
journaliste. nous a-t-il dit, qui pose des questions sur lidentité des auteurs des
massacres de la banlieue dAlger risque sa vie.
Pour nous journalistes, au début du conflit, il était clair que les islamistes
étaient les auteurs dassassinats abominables, touchant des personnes innocentes,
des jeunes écolières en hijab, etc. Le petit peuple, lui, disait tout haut que c'était
la Sécurité militaire qui était derrière tous les attentats attribués aux islamistes.
Pour nous, le petit peuple aimait les rumeurs, doutant de toute version officielle. Mais
avec le temps, au fur et à mesure des attentats, le doute sinstallait durablement
et gagnait de plus en plus de personnes. Les versions officielles des attentats étaient
de moins en moins vraisemblables : les instructions n'étaient jamais ouvertes. La
suite des événements confirmait de jour en jour la rumeur du petit peuple selon laquelle
larmée a organisé des contre-maquis et a mis sur pied le G.I.A., lobjectif
était de discréditer les islamistes en envoyant des fax revendiquant le meurtre de
journalistes, dintellectuels, d'étrangers, etc. Lopération consistait à les
présenter comme des fanatiques assoiffés de sang et comme des extrémistes criminels,
violeurs sans foi ni loi. Cette propagande a été efficace en France en rencontrant le
fantasme de lArabe égorgeur.
La majorité des journalistes algériens savaient que le G.I.A. était une émanation
des Services de sécurité dépendant du Ministère de la Défense mais ils ne pouvaient
pas l'écrire. Voilà pourquoi les journalistes se sont ralliés à la rumeur
populaire :
- Les victimes du G.I.A. appartiennent toutes au petit peuple, y compris les
intellectuels. Ces derniers, habitant des quartiers populaires et vivant de leur salaire,
nont pas un niveau de vie supérieur à celui du fonctionnaire moyen. Dautre
part, certaines des victimes étaient pratiquantes. M'Hamed Boukhobza, sociologue, faisait
la prière dans la mosquée de son quartier. A linverse, le G.I.A. na
assassiné aucun dignitaire du régime. On dira que les dignitaires sont surveillés et
ont des gardes du corps. Mais le G.I.A. a montré quil était puissant en organisant
des attentats spectaculaires. K. Nezzar, le général aujourd'hui à la retraite qui
annula les élections, est protégé par trois garde du corps ; Belaid Abdessalam, Rédha
Malek, Messadia
sont protégés par des membres de leur famille. Pourquoi le G.I.A.
ne les a jamais visés ?
- Le G.I.A. dispose dune logistique et de moyens de communications très
sophistiqués pour un pays quadrillé par larmée. A Alger, les fonctionnaires des
administrations remarquent quil est plus facile au G.I.A. denvoyer des fax à
Paris et à Londres que nimporte quelle banque dont les fax sont souvent en
panne ! Les fax, les téléphones mobiles et autres communications par satellite dont
dispose le G.I.A. indiquent à l'évidence que cest le Ministère de la Défense qui
len a pourvu. Le téléphone portable est interdit a tout citoyen ordinaire et pour
quil fonctionne, il faudrait quil soit relié au central P.T.T. de la
localité où lon réside. Ladministration réserve le téléphone mobile aux
officiels et à des personnes très connues.
- Le G.I.A. sévit depuis près de cinq ans et a tué des milliers de personnes sans
quaucun membre de cette organisation nait été arrêté vivant et traduit
devant un tribunal. A chaque attentat, une semaine après, comme pour rendre inutile toute
instruction judiciaire, les autorités annoncent la mort des auteurs de lattentat.
Ce qui est encore plus frappant, personne à ce jour na revendiqué son appartenance
au G.I.A.. Les collègues journalistes demeurent convaincus que les personnages Djamel
Zitouni, Antar Zouabri
sont imaginaires et nont jamais existé. Les autorités
ont annonce la mort de Djamel Zitouni, soit disant exécuté par ses hommes, mais personne
ne sait qui il était, où il travaillait, ni où il habitait. Avait-il une famille ?
Aucune information à son sujet na filtré à loccasion de sa prétendue mort.
Mais toute cette mystification na été possible que grâce à la censure imposée
à la presse dont lobjectif était de rendre vraisemblable lexistence du
G.I.A. Cela ne signifie pas que les islamistes de lA.I.S. - branche armée du F.I.S.
- ne tuent pas. Ces derniers ont été chassés de lAlgérois par le G.I.A. et se
sont répandus à lEst et à lOuest où ils attaquent les convois militaires,
les casernes de gendarmerie, brûlent les bâtiments officiels, etc. Dans toute
lAlgérie, ils ont imposé linsécurité au point où les forces de
lordre se barricadent et disparaissent dès la tombée de la nuit. Larmée
na pas été battue militairement mais les unités nen peuvent plus. Le
personnel de larmée est menacé : les familles des soldats sont en danger
permanent. Un grand nombre dofficiers sont tombés au cours dopérations
militaires ou dans des attentats. Pour alléger le poids de la guerre qui repose sur le
personnel de larmée, celle-ci a consenti à distribuer des armes à des milices.
Mais distribuer des armes à cette échelle dans un pays où les islamistes sont
populaires revient à en donner une partie aux maquisards de lA.I.S. De nombreuses
unités de lA.I.S. ont attaqué des casernes avec des kalachnikovs distribuées aux
miliciens. Certains généraux commencent à regretter la décision de création des
milices. Cest ce qui a poussé l'État-major à signer le cessez-le-feu avec
lA.I.S.
Où en est la situation aujourd'hui et que signifient les massacres en masse et
l'égorgement denfants ? Le G.I.A. compterait plusieurs centaines d'hommes bien
entraînés et bien équipés et à qui le Sécurité militaire aurait demandé de faire
le " sale boulot ". Au moment de lannonce des tractations entre
l'État-major et lA.I.S. qui ont débouché sur le cessez-le-feu, le G.I.A.
sest senti sacrifié et sest rebellé contre son officier général. Pour
casser les accords, le G.I.A. a redoublé de violence, poussant les villageois vers Alger
pour provoquer une insurrection contre les islamistes. Les égorgements denfants et
les massacres de villageois auraient continué sans les déclarations du secrétaire
général de lO.N.U. et surtout les articles des quotidiens Le Monde et Libération
qui ont alerté lopinion mondiale sur les carnages et les crimes contre l'humanité
qui se déroulaient avec la complaisance active de larmée. Craignant par dessus
tout une commission denquête internationale, celle-ci a alors engagé l'épreuve de
force avec le G.I.A. qui a été réduit en faisant intervenir des chars et des
hélicoptères. Larmée, par sa réaction, a cherché à rendre caduque la demande
dune commission denquête sur les assassinats de civils. Toute personne en
Algérie qui évoque une telle commission est menacée de mort par téléphone par des
personnes anonymes. Pourtant une opinion majoritaire à Alger pense que quelle que soit
l'évolution future du pays, une commission denquête internationale doit se rendre
à Alger pour identifier les criminels qui ont égorgé des dizaines denfants.
Larbi Aït-Hanlouda - journaliste à Alger.