Tous les pouvoirs ont rêvé un jour de dominer le monde. Mais là où les religions monothéistes (judaïsme, christianisme, islam, bouddhisme ) et les anciens empires (grec, perse, romain, arabe, mongol, ibérique, français, britannique ) ont finalement échoué, seul le capitalisme a réussi. Les causes de son succès résident dans ses contradictions motrices : discours sur la liberté individuelle mais esclavage du salariat, culte de lefficacité technicienne mais tolérance de lirrationnel, appel à la démocratie mais refus de lautogestion, conception globaliste mais découpage en État-nations. Le capitalisme domine car, au-delà des vertus idéalistes, cest la primauté donnée à la matière, cest-à-dire, pour lui, à la marchandise, qui lui permet dorganiser les rapports sociaux et cest lillusion donnée au suffrage, cest-à-dire à latomisation des décisions citoyennes et politiques, qui lui permet de légitimer le monopole de la violence légitime : l'État.
De tout temps, les exploités et les opprimés ont tenté dy opposer une alternative. La classe ouvrière des premiers pays industrialisés, et les quelques intellectuels déclassés qui s'étaient ralliés à elle, sont allés plus loin que le projet capitaliste en créant la Première internationale au milieu du XIXe siècle. Ils étaient bien conscients que seule une union de ce type permettrait de le combattre, en supprimant la concurrence salariale et chauviniste dun pays à lautre. La fraction marxiste en son sein a fait le choix de l'étatisme tout puissant, ce qui a conduit aux catastrophes ensanglantant le XXe siècle. La IIIe internationale bolchevique sest réduit à une défense pure et simple du pré-carré soviétique en éliminant impitoyablement toute autre position.
Nous sommes placés dans une nouvelle situation. Le marxisme-léninisme nest plus, à part quelques résidus, lidéologie porteuse d'émancipation. Les pays qui sen revendiquent - et à part la Corée du Nord, Cuba, le Vietnam et sans oublier la Chine, malgré tout - ne constituent plus les paradis convoités du " socialisme réel " ni les vecteurs de la révolution mondiale. Le capitalisme triomphe mais il a toujours besoin de régulations. Il confie ce rôle à l'État.
Le néo-libéralisme est, quoi quon en dise, une adaptation de cet État aux nouvelles conditions de la mondialisation du capital (libéralisation des échanges, déréglementations, privatisations, contrôle des salaires, gestion des flux migratoires ). Les discours qui sattaquent exclusivement au néo-libéralisme oublient de sattaquer au capitalisme et à l'étatisme, ce qui permet à certaines couches plus ou moins écartées du pouvoir de réclamer leur part et de prôner un retour de l'État dans la gestion directe de l'économie : petite bourgeoisie nationale laminée par les firmes transnationales, bureaucraties syndicales, communistes ou social-démocrates en perte de vitesse, intelligentsias du tiers-monde accrochées au nationalisme révolutionnaire comme issue au sous-développement.
De même, les discours écologistes sur la " sauvegarde de la planète " (et non pas de l'humanité, nuance !) prônent logiquement un gouvernement mondial, globalitaire, qui, dans le contexte actuel, ne servirait qu'à rationaliser les intérêts de la bourgeoisie et à lui éviter de dilapider trop stupidement les ressources terrestres quelle sest appropriée. Des mesures sont dailleurs prises dans ce sens.
Les anarchistes ne tombent pas dans le panneau de la critique unilatérale du néo-libéralisme et du destructionisme environnemental. Ils continuent de sattaquer aux véritables causes de la gabegie actuelle : lappropriation privée des moyens de production et d'échange, la loi du marché, loppression de l'État, des religions et du machisme, la division en nations ou en races. Ils doivent se doter dune véritable internationale qui leur permette de porter le combat à l'échelle mondiale où le capitalisme la placé, mais avec leur propres armes : le fédéralisme, lentraide, le refus des frontières.
L'heure est grave car la bourgeoisie a plus dune longueur davance avec ses organismes internationaux, de lO.N.U. à lO.M.C. en passant par le F.M.I. et avec la complicité des bureaucraties syndicales qui sont unifiées internationalement en surface mais gangrenées par le nationalisme à lintérieur. Elle se paie même le luxe davoir un idéal mondialiste, globalitaire faut-il plutôt dire, car son prétendu cosmopolitisme est fait dexploitation à outrance, dinterventions militaires et de destructions en tout genre.
LInternationale des fédérations anarchistes (I.F.A.) a tenté de poser les jalons dune autre perspective depuis une trentaine dannées. Avec courage, mais avec peine. Aujourd'hui, les anarchistes ne peuvent plus se payer le luxe de tergiverser. La situation est à la fois plus favorable - recul du marxisme-léninisme - mais aussi plus défavorable : tendance à lapathie, montée des nationalismes, retour du fascisme, difficultés économiques pour la classe ouvrière non seulement au Sud mais aussi au Nord, à lOuest comme à lEst. Ils doivent se doter dun outil plus combatif, être présents sur tous les continents, sorganiser plus solidement.
Les fédérations anarchistes ne sont pas, par nature et par choix, des syndicats. Ce qui ne signifie pas quelles soient nécessairement hostiles au syndicalisme ni quelles se désintéressent du monde du travail. Elles regroupent les individus et les associations conscients de la finalité ultime : le communisme libertaire. Elles ne préjugent pas des choix faits par chaque organisation en fonction de la situation locale. Elles constituent non seulement des groupes de propagande mais aussi de lutte : dans les syndicats, à côté des syndicats - en fonction des conditions et des circonstances - dans lentreprise mais aussi dans la commune et dans les associations. Lidéal et la pratique fédéraliste portés par les fédérations anarchistes leur permettront, le cas échéant, de construire la commune insurrectionnelle qui doit absolument accompagner toute grève générale expropriatrice sous peine de voir échouer celle-ci.
Là où les syndicats sont trop affaiblis ou trop bureaucratisés, là où le syndicalisme fut laminé par la répression, les anarchistes doivent se regrouper dans leur fédération spécifique pour ne pas perdre de vue leurs objectifs et leurs références. Lune des principales tâches de lI.F.A. doit être de les aider dans les pays où ils sont affaiblis.
Des moyens nouveaux soffrent à elle : Internet, fax, etc. Ils doivent permettre de mieux faire circuler linformation et de surmonter les barrières linguistiques, à condition que tout le monde soit connecté avec égalité.
LI.F.A. ne peut être et ne doit pas être une fédération de lutte :
LI.F.A. peut être et doit être une organisation d'échanges, de débats et de solidarité :
LI.F.A. doit aider le mouvement anarchiste à déjouer les pièges qui le guettent :
Pour cela, il nest pas nécessaire que toutes les fédérations membres de lI.F.A. soient calquées sur le même moule. Nous savons quil existe des histoires et des situations différentes, nous savons aussi le prix de la liberté de chacun. Il importe de se regrouper sur lessentiel : la lutte des classes, le fédéralisme libertaire, le communisme libertaire.
La tâche peut paraître lourde, elle lest effectivement. Lampleur de lenjeu peut faire peur, et, déjà, certains groupes ou certains individus se replient égoïstement sur leurs propres problèmes. La question internationale ne doit pas être la dernière roue du carrosse anarchiste ni le dernier point dun ordre du jour à bâcler en quatrième vitesse. Elle doit pratiquement être au centre de nos préoccupations : à chaque délocalisation dentreprise, à chaque convoi darmes, doit répondre une action anarchiste internationale, même modeste, mais pavant la voie à ce qui brisera nos chaînes.