Les alternances successives des années 1980 entre privatisation et nationalisation ont montré limportance du phénomène. On nationalise des entreprises qui périclitent (Rhône-Poulenc, Usinor, Péchiney en 1981). Leur gestion publique va permettre de réaliser les restructurations qui auraient été coûteuses pour les actionnaires privés, tout en laminant les capacités de résistance du personnel. Puis, après un redressement généralement qualifié dexceptionnel, on privatise quelques années plus tard les mêmes entreprises.
Pendant cet intermède, la collectivité a payé une redistribution, telle quelle fonctionne souvent dans notre société, des plus pauvres vers les plus riches. En effet, la nationalisation seffectue au prix fort pour masquer la contrainte de la situation (qui est insupportable pour un responsable de la gauche bêlante) alors que la privatisation seffectue au prix faible pour montrer la bonne volonté de l'État, qui illustre ainsi sa fonction de régulateur-dominateur au service de la bourgeoisie.
Cette redistribution à lenvers a encore fonctionné avec France Telecom : laction à 182 F tenant lieu de subvention aux propriétaires capitalistes, nouveaux bénéficiaires du travail des agents. Il suffit de constater que laction est montée immédiatement à 205 F. pour prendre conscience de cette sous-évaluation initiale. En lespace dune heure, la spéculation doisifs financiers leur aura rapporté 230 000 F pour 10 000 actions achetées.
La disparition du service public signifie la fin de la péréquation. Or, lidée de péréquation, inhérente en principe à un véritable service public, est lamorce dune société où serait appliqué le principe communiste " De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ".
En clair, cela veut dire que lusage dun service est déconnecté de sa rétribution. Par exemple, tout le monde finance l'école quel que soit lusage que chacun peut en faire (on ne paie pas en fonction du nombre denfants scolarisés). En cela, les anarchistes défendent sur un plan économique lidée de la production de services sous la forme de services publics, la critique essentielle tenant à la gestion non populaire de ces mêmes services dans notre société et notre aliénation par les technocrates qui se substituent aux citoyens.
Si on prend le cas dAir France, dont la privatisation prévue-programmée est retardée, le problème apparaît clairement. Actuellement, les lignes excédentaires subventionnent en partie lexistence de lignes déficitaires. En clair, le voyageur du Paris-Marseille finance une partie du voyage Paris-Brest. Casser cette déconnexion revient à baisser le prix du Paris-Marseille et à relever énormément celui du Paris-Brest. Cest dailleurs ce qui se passe depuis le 1er janvier 1997 où les lignes aériennes sont ouvertes à la concurrence. Ainsi, la compagnie allemande Lufthansa a créé plusieurs lignes mais toutes sur des liaisons rentables, ce qui lui permet doffrir des tarifs plus bas. On attend que la Lufthansa assure Paris-Brest !
Il en sera de même avec les privatisations programmées du Réseau ferré français ou de E.D.F. La privatisation nous éloigne toujours de ces principes de solidarité de base contenus dans le fonctionnement économique des services publics, sauf quand ceux-ci, comme cest devenu la norme, sont déjà soumis par nos gouvernants au même fonctionnement quune entreprise privée.
Pour nous, défendre les services publics a une signification : cest permettre la déconnexion entre lusage des biens et leur financement. Cette démarche correspond à la nôtre si tant est que le contrôle et la gestion de ces services sont assurés par les usagers organisés. Cest parce que gauche et droite ont perverti lidée même de service public quil est dailleurs si facile de les privatiser.