Mouvement des routiers

Un goût d’inachevé

La grève des routiers laisse un goût amer. L’an dernier, le patronat les avait bernés en signant des accords qu’il n’a jamais appliqués. Cette année, la C.F.D.T. les a trahi dans un contexte où la détermination des rouliers avait créé un rapport de force qui aurait pu permettre de ne pas brader leurs revendications. Symbole de cette trahison, la prime de 3000 francs, pourtant promise l’an dernier, ne sera jamais versée.

En contradiction avec la satisfaction clairement affichée par la C.F.D.T., les acquis inclus dans le protocole d’accord paraissent fort limités même s’ils constituent certainement, sur le papier tout au moins, un léger mieux dans un secteur où règnent de terribles conditions de travail. Détaillons un peu ce protocole.

Des revendications bradées

En 1998, un " salaire mensuel professionnel garanti " sera instauré. Il n’inclura pas les primes, contrairement aux actuelles rémunérations garanties. Sur le principe, c’est incontestablement un progrès même si cela pourrait bien être une manœuvre. Permettant à l’U.F.T. de sauver la face, Rol-Tanguy, directeur de cabinet de Gayssot, est à l’origine de cette idée qui " change tout " ; les patrons peuvent ainsi accepter d’augmenter légèrement le salaire de base tout en se rattrapant sur les nombreuses primes distribuées aux chauffeurs.

Principale revendication mise en avant par les routiers, les 10 000 F bruts par mois pour 200 heures par semaine, minimum correspondant approximativement au S.M.I.C. horaire, sont effectivement programmés pour le 1er octobre 2 000. Entourée de beaucoup de publicité, cette mesure aura toutefois un impact réel bien mince, elle ne s’appliquera que pour les nouvelles embauches, de nombreux routiers devront donc logiquement changer de boite pour pouvoir en bénéficier, et elle sera réservée à une petite minorité de 10 000 (sur 220 000) chauffeurs routiers marchandises, uniquement ceux qui bossent sur les longues distances.

Les augmentations immédiates de salaires consenties par le patronat restent très limitées: seuls les " longues distances " obtiennent 6 %, les autres chauffeurs routiers marchandises doivent se contenter de 3 % ou de 5 % pour les plus bas salaires. Les autres salariés du secteur (sédentaires, conducteurs routiers voyageurs et ambulances, etc.) se voient eux accorder 4 %. Pour ce qui est des hausses de salaires ultérieures programmées dans l’accord, elles seront réservées exclusivement à la petite minorité des " longues distances ".

L’OPA réussie de la C.F.D.T.

Dans ce conflit, la C.F.D.T. " route " a voulu se positionner comme l’interlocuteur privilégié du patronat et de l'État. Incontestablement, elle y est parvenue. Incontournable, elle a su se montrer compréhensive et raisonnable vis-à-vis des intérêts patronaux tout en étant capable de parvenir seule à faire lever les barrages. On ne peut pas vraiment dire que la branche " route " de la C.F.D.T., pourtant rattachée au bastion oppositionnel de la fédération transport-équipement, s’est distinguée en quoi que ce soit de la ligne Notat.

En position d’outsider, F.O. a tenté de surfer sur la mobilisation et la forte détermination des routiers. Non sans mal d’ailleurs, Poletti avait lui aussi signé l’accord du dimanche 2 novembre avant de se rétracter, invoquant pêle-mêle la fatigue et les erreurs de calcul. Pour ce qui est de la C.G.T., son influence sur le cours des événements est apparue somme toute assez marginale.

Pour la C.F.D.T., cette grève ne devait pas avoir lieu. Ils ont tout fait pour l'éviter. Dès le dimanche 2 novembre, Joèl Le Cocq avait qualifié " d'historique " le premier accord, appelant même à surseoir au déclenchement de la grève. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’il se soit empressé de signer le second.

La consultation des syndiqués, organisée le vendredi 7 novembre, a ressemblé à une véritable mascarade basée sur la désinformation sciemment organisée par les responsables de la C.F.D.T. Comment pourrait-il en être autrement quand on demande aux routiers grévistes de se prononcer rapidement sur un document technique et volontairement alambiqué de 25 pages ? Les permanents se sont chargés, pour la forme mais non sans difficultés, de faire entériner cet accord.

Confronté à son premier mouvement social, le gouvernement a démontré, de son côté, sa capacité à le gérer au mieux, bien évidemment du point de vue des intérêts patronaux.

Contrairement au précédent conflit, le ministère de l’intérieur ne s’est pas gêné cette fois-ci pour faire dégager de nombreux barrages.

Pour ce gouvernement de gauche, si la libre circulation des individus par delà les frontières relève de l’utopie, la libre circulation des marchandises pour le plus grand profit des capitalistes doit, par contre, demeurer un principe inviolable.

Patrick - groupe Durruti (Lyon)