Routiers : paroles de luttes

Pendant que les médias qualifiaient les routiers de preneurs d’otages, focalisaient sur le manque de carburant et le péril économique engendré par la grève, nous nous sommes rendus sur différents barrages de l’agglomération lyonnaise. Nous y avons rencontré plusieurs routiers dont deux cédétistes : un routier retraité depuis un an et Pierre D., salarié à Calberson.

Subissant un véritable semi-esclavage, les routiers demandent simplement le paiement de toutes les heures effectuées chaque mois (la notion de taux horaire n’existant pas encore dans cette profession).

Dans ce secteur, ce sont les grands groupes de supermarchés (Auchan, Continent…) et de transport (comme Calberson, un des 1er grand groupe du transport) qui sont les donneurs d’ordre et fixent à minima les prix des livraisons. D’où la concurrence impitoyable entre les patrons transporteurs. Calberson, par exemple, fonctionne uniquement avec un réseau de sous-traitants pour effectuer la traction et la livraison.

A rajouter là-dessus la politique du flux tendu (stock zéro, attente zéro, profit maxi) qui n’a fait qu’aggraver in fine les conditions de travail de tous les chauffeurs.

Il suffit de rappeler ce fait récent pour illustrer à nouveau l'état de ces conditions moyen-âgeuses : un routier lyonnais qui souhaitait se faire payer toutes ses heures dut aller aux Prud'hommes pour pouvoir obtenir du patron les disques de son camion, " seul moyen " de mesurer le temps de travail réel. Bonjour l’ambiance moderne !

Certains routiers affirment même que la Convention collective du transport (datant de 1950) est à refaire de fond en comble car il n’y a rien de bon dedans.

Des accords de l’an dernier… à la colère de cette année

L’an dernier (novembre 1996) la grève des routiers s’est terminée par un accord comprenant :

La grève était déjà dans l’air depuis le mois de juin 1997 pendant lequel des actions furent menées. Le mouvement était donc préparé par les routiers et… y compris par les patrons ! Les revendications ? Toutes les heures payées et donc le refus d’entendre parler de forfait mensuel ou annuel (proposé par les patrons). Le sentiment de s'être fait " berner " l’an dernier faisait dire aux routiers que cette fois-ci ils ne lâcheraient pas sans avoir obtenu une hausse de salaire et la revendication phare " 10 000 F pour 200 heures travaillées " (soit 50 F de l'heure).

L’accord de l’an dernier n’ayant visé que les transports de marchandises, il était également réclamé son extension à tous les types de chauffeurs (ambulanciers, voyageurs…).

Un mouvement moins spontané qu’en 1996 mais plus profond

A la différence de l’an dernier où il y eu des barrages sur les routes et de manière progressive, il y a eu cette fois beaucoup de barrages en peu de temps (150 les premiers jours) mais avec moins de routiers mobilisés et moins de camions immobilisés dans les barrages. La raison : les patrons, petits et grands, ont eux aussi anticipé le conflit en faisant au maximum en sorte de bloquer les camions aux dépôts et en imposant aux salariés des congés. Pour une profession dont souvent plus de la moitié du personnel se trouve sur les routes, cette tactique des patrons a rendu les barrages plus difficiles à réaliser.

Cette pratique a conduit les routiers grévistes à envisager d’autres moyens de pression que les barrages de camions sur les grands axes routiers : blocage des raffineries, des ports pétroliers, des plates-formes alimentaires et autres points stratégiques.

Dans le département du Rhône, à partir du Dimanche 2 novembre, les routiers ont lancé plusieurs opérations : un barrage sur l’A6 au niveau de Villefranche-sur-Saône a été maintenu pendant 2 jours, un blocage de la raffinerie de Feyzin (Rhône) qui équivaut à bloquer un transit quotidien de 250 camions, un blocage des plates-formes alimentaires de la région, et le blocage du port pétrolier de Givors. Des actions similaires furent répétées dans tout le pays.

Beaucoup de routiers s'étaient préparés pour tenir un conflit dur et long (la grève de l’an dernier avait duré 12 jours). Certains avaient prévu du ravitaillement dans leurs camions.

Il faut souhaiter qu'à la parution de cette article le patronat ait reculé. Ce ne sera qu’un encouragement pour tous les salariés !

Manu - groupe Déjacque (Lyon)