Jeudi 6 novembre, 23 heures. Il fait nuit noire quand, à quelques-uns, nous rendons visite aux routiers en grève qui organisent le blocus du Centre régional de transport de Lesquin, en bordure de laéroport de Lille. Il pleuvine et les rangées de camions qui encombrent toutes les voies daccès au C.R.T. sont impressionnantes. Les routiers accueillent chaleureusement l'énorme marmite de soupe que nous leur apportons en guise de solidarité.
Il y a là des milliers de camions, de toute la France, mais aussi de lEurope entière, bloqués par le mouvement de grève de leurs collègues français. Ça discute ferme autour du feu et sous la tente qui permet de se protéger un peu de la pluie, entre les quelques dizaines de routiers qui veillent Certains nous rapportent les quelques mésaventures quils ont connu ici : une première tentative de blocus avortée face à quelques rangées de C.R.S. ; ceux qui tentent malgré tout de traverser le barrage filtrant. Daprès un militant C.F.D.T., il ny a pas eu de problème ou daccrochage majeur avec ces routiers étrangers bloqués, contrairement à ce que ne cesse de laisser entendre la grande presse. Patrick, un jeune routier belge raconte quil est arrivé ici lundi après-midi, quil y a été bloqué mais quil est resté depuis : la condition des routiers français et belges est sensiblement la même, horaires impossibles, souvent de 6 h le matin jusqu'à 21 heures ou même jusquau lendemain matin quand il nest pas question de sarrêter en route, salaire de misère comparé au temps de travail extensible. Si les routiers belges font officiellement 40 heures de conduite par semaine, cest sans compter les temps dattente, de chargement/déchargement obligatoire (si tu refuses, le client téléphone à ton patron et tes dehors ), payés nettement moins que la conduite Selon lui, cest clair, il faut lutter au niveau européen, pour un salaire unique des chauffeurs, ainsi quun barème détaillé des prix de transport afin de lutter contre la concurrence sauvage, tant nationale quinternationale dont ils font les frais.
Avec un militant C.F.D.T., nous discutons un peu de la poursuite des négociations entre patrons et syndicats. Il s'étonne que les grands patrons regroupés dans lU.F.T. soient maintenant revenus à la table des négociations et quils semblent maintenant accepter une augmentation salariale de 4 % alors quils lavaient quittée la semaine dernière en jugeant inacceptable une telle augmentation. " Ils nous ont poussé à la grève, cest clair. Il sagit peut-être de savoir pourquoi ". Cest loccasion de lui parler dannualisation du temps de travail, de lattitude maximaliste de lU.F.T. qui voulait imposer cette revendication patronale. Lannualisation, qui sera la contrepartie des 35 heures dans les négociations boîte par boîte prévues après la Conférence sur lemploi. De parler aussi de cette avancée bizarre des négociations : un salaire de 10 000 F pour 200 heures de travail mensuel, alors que l'horaire légal est de 169 heures. Pour lui, cest clair, les routiers luttent pour un salaire décent. A l'heure actuelle, il nest pas rare quils travaillent 240 heures par mois (60 h par semaine ) ou plus Ces 10 000 F, cest déjà une avancée pour une réduction sensible du temps de travail et un salaire mensuel plus décent défini par des règles claires.
Cest pourtant un accord entre patrons et syndicats sous l'égide de l'État qui se trouve clairement en dehors du code du travail. Mais il estime que cest déjà une avancée et quil sera difficile dobtenir plus, la plupart des boites ne pouvant selon lui supporter maintenant une application réelle des 169 h/mois, voire des 35 h/semaine, même sil le souhaite. Lannualisation du temps de travail, lU.F.T. en a abandonné la revendication dans les négociations et les 10 000 F mensuels y sont plutôt contraires : il sagit plutôt dune mensualisation du salaire et des horaires qui faisait jusquici défaut.
Quant à savoir si un prochain accord sera effectivement appliqué, contrairement à celui de 96, ils demandent tous des garanties, sans bien encore savoir lesquelles : des engagements écrits, des signatures, des changement tout de suite, la garantie du gouvernement (mais un gouvernement ça change), une nouvelle grève un mois après un accord éventuel si rien na bougé Tiens, une rumeur court selon laquelle les routiers italiens devaient se mettre en grève lundi 10 novembre. Et si c'était ça la garantie ? Avec celle des cheminots, des électriciens, des gaziers, des employés de la restauration aussi flexibles et exploités que les routiers, des ouvriers, des employés, des précaires, des chômeurs, des étudiants internationalement