Historiquement, lAfrique du sud a été larchétype de la pauvreté et de loppression associée au capitalisme et au racisme. Les premières élections législatives non raciales davril 1994 avaient donné beaucoup despoir pour les réparations des injustices du passé. La tenue d'élections ouvertes au peuple tout entier et le remplacement des lois racistes par des droits démocratiques et des droits civiques a été une grande victoire pour la lutte en Afrique du Sud. Mais le nouveau gouvernement de Nelson Mandela et de lA.N.C. na jamais pu prendre en charge les demandes de la classe ouvrière noire pour l'égalité et la redistribution des richesses.
En Afrique du Sud, 47 % des foyers noirs vivent sur ou au-dessous du seuil de pauvreté. Cependant, les dix familles sud-africaines les plus riches valent ensemble 18 milliards de rand. Le taux de chômage est de 30 % mais les directeurs des grandes entreprises gagnent jusqu'à 900 000 R/an. Cinq grandes entreprises contrôlent 80 % du marché financier de Johannesbourg et 120 000 fermiers (blancs pour la plupart) possèdent 87 % de la terre.
Linégalité en Afrique du Sud ne suit pas seulement les " frontières " raciales. Alors que la plupart des pauvres sont noirs, tous les noirs ne sont pas pauvres. Les vingt dernières années ont connu une rapide expansion dune bourgeoisie et dune petite bourgeoisie noires. Cette expansion sest accélérée depuis les élections davril 1994. Entre 1975 et 1991, les 20 % des foyers noirs les plus riches ont vu leurs revenus augmenter de plus de 40 %. La même période a connu un déclin similaire des 40 % des plus pauvres des foyers blancs. Ces schémas des inégalités de races et de classes indiquent que la classe ouvrière noire - la majorité de la population - est la principale victime de l'héritage du racisme et du capitalisme de lAfrique du Sud.
Les souffrances de la classe ouvrière noire trouvent leurs racines dans la forme particulière de développement capitaliste de lAfrique du Sud : le capitalisme-apartheid. Lapartheid na pas été uniquement le fait dun racisme fanatique comme le soutiennent les médias bourgeois.
Les formes de contrôle social de lapartheid ont posé les bases pour le développement du capitalisme en Afrique du Sud. Les lois sur le contrôle des déplacements (pass-lows), le système du travail de migration, labsence des plus élémentaires droits politiques, linterdiction des syndicats de noirs, le logement des travailleurs en baraquements tout cela a créé une force de travail extrêmement bon marché et rigoureusement contrôlée pour servir dans les mines, les fermes et les usines du pays. Dans de nombreux cas, un tel système permettrait de payer les ouvriers en dessous du seuil de subsistance. Lidéologie raciste justifiait cette oppression.
Lapartheid a commencé à se fissurer dans les années 70 à cause dune stagnation économique et dune révolte massive, à la base, des travailleurs et des pauvres.
Chargée dun sentiment anticapitaliste, la résistance a également mis en avant des formes dautogestion. Par exemple, des syndicats de masse, avec un projet socialiste, furent établis dans les années 70-80, à l'époque où, dans les townships noirs, on a pu voir des tentatives de remplacer le gouvernement de l'État par des " associations civiques " démocratiques et des communautés de base.
Cest avec cet arrière-plan que le régime a choisi de négocier la nouvelle constitution politique avec lA.N.C. et les modérés dans les années 1990.
Ces négociations ont conduit à la tenue des premières élections non-raciales en avril 1994. Pour la première fois en 300 ans, tous les noirs ont eu le droit de voter ; la liberté de parole et la libre association.
Toutefois, cette avancée politique na pas entraîné daméliorations de la situation matérielle de la classe ouvrière noire. Bien que lA.N.C. ait fait campagne sous le slogan " Une vie meilleure pour tous " en 1994, elle sest désormais fermement ralliée à une forme néo-libérale de capitalisme appelée G.E.A.R. (Growth, employment and redistribution - croissance, emploi et redistribution), stratégie macro-économique pondue en juin 1996. G.E.A.R. appelle à la privatisation des assets de l'État, à la libéralisation du commerce international et de la circulation des capitaux, à la flexibilité du marché du travail et à un rôle minimal de l'État dans les activités économiques.
Voici des exemples concrets de ladoption par lA.N.C. de politiques néo-libérales : tentatives de privatisation des biens de l'État (leau) ; programme de réforme foncière basée sur le principe de la redistribution des terres via le marché ; coupes dans le budget de nombreuses universités ; campagne " Masakhane " (construire ensemble) pour forcer le paiement de l'électricité et de leau dans les townships ; fermeture ou restructuration à la baisse des " hôpitaux non rentables ".
Partout dans le monde, des politiques néo-libérales semblables ont exacerbé les souffrances des pauvres, entraînant des pertes de salaire, du chômage, des réductions des dépenses sociales et des attaques contre les droits des travailleurs.
La capitulation rapide de lA.N.C. pour une telle politique est significative dun ensemble de facteurs.
Tout dabord lintégration des cadres de lA.N.C. aux structures de la classe dirigeante en Afrique du Sud. LA.N.C. a toujours considéré l'État comme un instrument de changement progressif, sans voir que l'État par sa nature même ne peut que se défendre et protéger les privilèges. En tant que fonctionnaires d'État, les leaders de lA.N.C. font en sorte de maintenir le capitalisme en Afrique du Sud, et subissent les pressions des institutions internationales (Banque mondiale, F.M.I ) et des monopoles locaux pour mettre en place le néo-libéralisme.
Mais ce serait une erreur de croire que lA.N.C. a simplement été forcée dadopter cette politique. LA.N.C. est depuis longtemps en faveur du système économique capitaliste, et ses cadres et dirigeants constituent depuis longtemps le noyau même de la bourgeoisie noire montante. En tant que tels, ils sidentifient aux intérêts de classe et aux privilèges des capitalistes blancs. Ils ne souffrent pas de lexploitation de la classe ouvrière mais au contraire, il en tirent profit.
Dans cette situation, un changement social progressiste doit être le but de la classe ouvrière noire majoritaire qui na rien à perdre et tout à gagner au renversement du système social actuel. Un combat constant requiert une rupture avec le front uni des bourgeois noirs ou blancs en faveur dun programme de lutte de masse et dautonomie des travailleurs.
Finalement, ce nest quau travers de la révolution sociale que se briseront les entraves du racisme et du capitalisme. Seul le communisme libertaire international pourra éradiquer le racisme et le capitalisme et nous mener vers un système d'égalité et dautogestion.
La résistance au assauts du néo-libéralisme a déjà commencé, avec deux grèves générales en 1997 contre la flexibilité du travail ainsi que des émeutes contre les coupures d'électricité.
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