Il semble important, à l'heure où le monde politique qui légifère transforme la nationalité française en une sorte de distinction honorifique rare permettant à ses heureux possesseurs de toiser le reste de l'humanité avec dédain, de rappeler que la langue française ne saurait non plus être considérée à limage des multiples idiomes ordinaires, pour la plupart inutiles et pour tout dire barbares, comme un simple outil de communication. Il convient à cet égard, au moment où la francophonie vient de se voir perchée sur un sommet, sous la haute garde dun secrétaire général, de fustiger avec la plus extrême sévérité quiconque savisera désormais de ne pas la considérer comme la huitième merveille du monde.
Il est heureux que lappel à la résistance contre la domination pesante de langlais, véhicule vulgaire de limpérialisme, ait été lancé depuis lun de ces pays où souvrent de nouveaux marchés et où des perspectives de juteux bénéfices émoustillent déjà les courbes de production d'hommes daffaires rapaces, certes, mais sexprimant dans la belle langue de Madelin. Car, on laura compris, limportant ne consiste pas à en finir avec le capitalisme, mais bien plutôt de lui apporter, par lutilisation de notre parler magnifique, une louche " droits de l'homme ", frimeuse mais apaisante, qui saura en atténuer leffroyable sauvagerie. Si, par exemple, depuis que les femmes de ménage se sont transformées en " techniciennes de surface ", la merde quelles ramassent reste la même et leurs salaires des plus désolants, les intéressées, on le sait, tirent de cette appellation tape-à-loreille une fierté légitime que langlais bestial ne saurait leur donner.
La première tâche du grand ami et conseiller en la matière du président Chirac, Denis Tillinac, écrivain de renommée corrézienne considérable, doit donc être dimposer, là où flotta naguère notre drapeau majestueux, dans ces lambeaux de colonies africaines et asiatiques ayant " le français en partage " et surtout rien dautre, ce vocabulaire grâce auquel il nest plus dexploitation ni de marges bénéficiaires honteuses. Quon en finisse, en paroles, ici comme là-bas, avec le chômage, la misère, les licenciements, les exploiteurs et tous ces termes désuets charriant un côté prolo à casquette et gitane mais des plus surannés ! Que triomphent la positive " recherche demploi ", la délicate " précarité " dans une passagère " fracture sociale ", les indispensables " restructurations " et leurs " allégements de coûts de structure " civilisés, décidés par quelques sociables " délégués aux ressources humaines " et autres " conseillers en communication "
Que simpose avec force la gonflette langagière contre la concision ringarde, afin quon sache, là où notre libéralisme simplante, ce que parler français veut dire ! Car cela nira bien sûr pas sans manifestations grincheuses des réfractaires passéistes à une modernité clinquante, hostiles à " réinventer une responsabilité citoyenne ". Autrement dit, à être pris pour des cons