Les exemples historiques ne manquent pas pour démontrer lincapacité des luttes de libération nationale à engager une dynamique réellement émancipatrice. Dernière illustration en date, le positionnement révoltant des indépendantistes kanaks sur laffaire des boat people chinois mérite d'être relevée.
Le 4 novembre, 39 ressortissants de Chine populaire ont débarqué en Kanaky, à bout de vivres et deau, épuisés par 54 jours de mer. A bord du même type dembarcation de pêche traditionnelle, 71 nouveaux boat people sont arrivés le 17 novembre. Il nen fallait pas plus pour déclencher une véritable hystérie xénophobe.
Le lendemain, mardi 18, Les Nouvelles calédoniennes, le seul quotidien, titre à la une : " Appel à une manifestation anti-immigration ce soir " . En page six, les milieux politiques et associatifs réagissent. Le R.P.C.R., R.P.R. local, propose de " les rapatrier dans leur pays " . De son côté, Roch Warnytan, le patron du F.L.N.K.S., déclare " les accepter, cest mettre un doigt dans lengrenage ". Il poursuit en affirmant que " la Nouvelle Calédonie ne peut pas et ne veut pas être la base avancée de la politique humanitaire de la France dans le Pacifique. Le F.L.N.K.S. sy opposera [ ] " Un communiqué suit, intitulé " Manifestation aujourd'hui contre limmigration ". Le Palika (Parti de libération kanak), le L.K.S. (Libération kanak socialiste), le F.D.I.L. (Front de développement des îles) et lU.S.T.K.E. (Union des syndicats des travailleurs kanaks et exploités) y " appellent à la mobilisation contre limmigration clandestine et imposée des boat people, et contre limmigration organisée en provenance de lEurope, de la Métropole, et des territoires et pays du Pacifique ".
Le mercredi 19 novembre, les Nouvelles calédoniennes proposent une belle photo couleur et titrent pleine une : " Boat people : sept cent manifestants contre limmigration ". En page quatre, lUnion Calédonienne, principale composante du F.L.N.K.S., " exige ", dans un communiqué, " que l'État français assume pleinement sa responsabilité : quil accueille les ressortissants étrangers sur le sol métropolitain ou quil les rapatrie ".
Apparaissant presque modéré dans ce contexte, le Front national se contente destimer " que l'État doit tenir compte de lirritation légitime de nombreux Calédoniens [ ] ". Quils soient partisans de l'État français et libéraux ou indépendantistes et socialistes, lensemble du personnel politique et syndical semble se complaire dans cette union sacrée de la haine.
Ces cent dix pauvres Chinois, sans-papiers du Pacifique, sont donc bien loin den avoir fini avec leur galère. Placés en rétention administrative, leur sort dépend du bon vouloir de l'État français dans un contexte de total vide juridique, lapplication du droit dasile nayant jamais été étendue à la Nouvelle Calédonie.
Dans l'édition du 20 novembre des Nouvelles calédoniennes, le délégué du gouvernement sest contenté dappeler " au calme et à la sérénité ". Il poursuit ainsi : " Sil ressort que ces personnes ne peuvent bénéficier du droit dasile, elles feront lobjet dune procédure dexpulsion ".
Une nouvelle manifestation anti-immigrés sest déroulée à Nouméa le vendredi 22 novembre. En rajoutant à nouveau une couche, les organisations indépendantistes signataires " justifient " ainsi leur démarche : " Le feuilleton des boat people continue et risque de continuer avec linstallation possible de " réfugiés politiques " et larrivée dautres bateaux, et personne ne bouge. Or tout le monde sait que ce sont des immigrés économiques à la recherche dun nouvel eldorado ".
Rejeter ainsi des immigrés jugés indésirables laisse perplexe sur la capacité daccueil et douverture sur le monde du nationalisme kanak. Le traumatisme de la colonisation ne peut pas tout expliquer ni tout justifier. Une telle posture, clairement xénophobe, doit être condamnée avec la plus grande fermeté, en Kanaky comme en France.