Depuis quelques temps, il ne se passe pas un jour sans que lon nous annonce une grève de chauffeurs de bus. A chaque fois, le scénario est immuable : à la suite dagressions verbales et/ou physiques, de dépradations ou dattaques contre des bus, les conducteurs se mettent en grève contre linsécurité et réclament des mesures de protection
La réponse apportée est invariablement la même : plus de flics, plus de contrôles, plus de patrouilles, comme si la seule solution à ce " type de délinquance " était encore et toujours plus de répression ! On ne va pas jeter la pierre (il apparaîtrait quils en reçoivent assez !) à ces pauvres chauffeurs, cest vrai quils font un métier difficile, surtout sur certains trajets, que cest certainement épuisant nerveusement, que leurs conditions de travail (horaires, etc) sont exécrables, mais on a néanmoins envie de leur rappeler que les C.R.S. qui leur ouvrent aujourd'hui le chemin au milieu de la " racaille " sont ceux-là mêmes qui interviendront contre leurs piquets de grève demain quand ils seront en conflit avec leurs patrons !
De toute autre nature est le conflit qui opposent les traminots de Rouen à leur direction, et ça les médias se gardent bien den parler, des revendications sociales, cest pas vendeur coco, fais plutôt un bon gros plan sur ce bus dégradé, un long travelling sur les vitres brisées, voilà qui va faire frémir ! Et pourtant, pendant 15 jours, les conducteurs de la T.C.A.R. (Transports en commun de lagglomération rouennaise) ont été en grève reconductible, et ce à plus de 75 % ! Que réclamaient-ils ? Tout comme les routiers, le respect des accords signés lannée dernière.
Dans la lancée du mouvement des routiers de lautomne 1996, les chauffeurs de la T.C.A.R., à linitiative de la C.G.T. (hégémonique dans la boîte), cessent le travail fin novembre 96 pour obtenir un réaménagement de leur temps de travail, une nouvelle classification, de meilleures rémunérations, la retraite à 55 ans.
Le conflit durera 17 jours, et le 18 décembre 96, la direction, la C.G.T. et un représentant de l'État signent un protocole daccord sur la réduction du temps de travail à 34 heures et la création de 80 emplois, accord applicable en septembre 97. Comme lors du conflit des routiers, pour sortir de la crise, les partenaires sociaux ont botté en touche sur lair de " remettons à plus tard ce quon ne veut pas donner tout de suite ". Dans le cadre de la loi Robien, l'État devait assurer le financement de cinq mesures.
Or, il savéra vite que laccord nentrait pas dans le champ dapplication de la loi Robien (et on a du mal à croire que personne ne le savait), l'État acceptant néanmoins de verser quelques subventions mais le compte ny était toujours pas. Dans les mois qui ont suivi, la C.G.T. maintenait la pression à coup de préavis de grève au dernier moment, ce qui pouvait plutôt passer pour du " retenez-moi ou je fais un malheur ". Du côté des pouvoirs publics, le District de lagglomération rouennaise, grand bailleur de subventions à la T.C.A.R. (concession du service public de transport), au nom de la défense des intérêts des contribuables, refusait de remettre au pot.
Curieux, quand il faut satisfaire des revendications ou des besoins sociaux, ce souci de préserver les deniers publics, on aimerait quil en soit autant quand il sagit dopérations de prestige ou de communication (dans ce dernier cas, voire la dépense en bouteilles de champagne ) Les choses navançant pas, il a bien fallu en découdre
Le jeudi 13 novembre, la grève, massivement suivie, débute. La direction propose, en attendant lapplication de la loi Aubry, une prime.
La grève sinstallant dans la durée, elle promet la semaine de 35 heures et lembauche de 30 personnes pour aller à terme vers la création de 55 postes. Refus de la C.G.T. qui porte laffaire devant les tribunaux (plainte pour non application des accords). Le juge se déclare incompétent et déboute la C.G.T. Il faudra bien se poser de sérieuses questions sur lirruption de la Justice dans les luttes sociales, surtout quand ce sont les organisations de travailleurs qui viennent la chercher, quand cest le patronat, cest dans la logique des choses
La T.C.A.R. réplique en contestant devant le tribunal le dernier préavis de grève. Que croyez-vous quil advint ?
Le 27 novembre, le juge, constatant que chacun campe sur ses positions, nomme un médiateur, à charge pour lui dessayer de résoudre le conflit pour la mi-décembre, à la grande satisfaction de la C.G.T., qui suspend immédiatement la grève pour 15 jours, alors que les grévistes étaient prêts à continuer, ce qui réjouit fort la direction
Tout ça pour ça ! La suite dans un prochain numéro